© 1996 Bernard SUZANNE Dernière mise à jour le 1er décembre 2016
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« Ne paraît-il pas avoir jeté pêle-mêle les parties du discours ? Apparaît-il quelque nécessité qui oblige ce qui a été dit en second à venir en second plutôt que n'importe quoi d'autre de ce qui a été dit ? » (Phèdre, 264b)

Pourquoi le Parménide ou le Ménéxène ?

Le point de départ de ma critique de l'approche actuelle des dialogues est l'image sous-jacente de Platon qu'elle donne. Je ne puis me résigner à admettre qu'un homme dont l'influence sur toutes les écoles de pensée ultérieures fut si grande n'aurait écrit un dialogue comme le Parménide qu'à seule fin de faire savoir au monde qu'il avait trouvé un os dans ses théories antérieures, qu'il n'avait rien de mieux à proposer à leur place, mais qu'en attendant, il se proposait d'amuser ses lecteurs en leur présentant Parménide à l'œuvre dans quelques uns de ses « jeux laborieux » ; ou un dialogue comme le Ménéxène dans le seul but de prouver à Athènes qu'il était plus fort que les plus brillants des rhéteurs à leur propre jeu, après qu'il eut passé sa vie à les critiquer. Je ne puis me résigner à admettre que la théorie simpliste qu'Aristote critique comme si elle était la prétendue "théorie des idées" de Platon est bien la théorie que ce dernier a soutenue, et qu'Aristote savait mieux interpréter Platon que Platon lui-même, pour la seule raison qu'il lui était postérieur et que, dans une perspective « évolutioniste » postérieur veut nécessairement dire meilleur (en fait je suis au contraire convaincu que Platon était infiniment plus doué qu'Aristote pour comprendre les théories des autres de l'intérieur et les critiquer à partir de leurs propres hypothèses, qu'il exerça ce talent non seulement sur ses prédécesseurs, mais aussi sur ses élèves, et en particulier sur Aristote, bien mieux qu'Aristote ne le fit contre lui, et que ce n'est pas un hasard si le pâle interlocuteur de Parménide dans le dialogue qui porte son nom est un autre Aristote, tout historique qu'il ait pu aussi être). Je ne puis admettre la facilité avec laquelle tant de spécialistes de Platon trouvent des contradictions ou des traces d'« évolution » dans la pensée de celui-ci là où il n'y a peut-être que points de vue partiels résultant d'angles d'approche différents, complémentaires bien plutôt que contradictoires, surtout lorsqu'ils utilisent les conclusions auxquelles ces efforts sont censés conduire pour réfuter des lectures plus profondes de dialogues dits « de jeunesse » du seul fait que ces dialogues sont justement « de jeunesse »...

Mais alors ?...

Un ensemble cohérent de dialogues écrits par un éducateur, non un dogmatiste

Je voudrais suggérer qu'il existe un ensemble de 28 dialogues qui fut écrit par Platon comme un tout, peut-être sur une période de temps plus courte qu'on ne se l'imagine souvent, et probablement tard dans sa vie (mais de cela, je n'ai nulle preuve, et je demande simplement au lecteur de ne pas se hâter de juger ces hypothèses sur des données "externes" avant même qu'elles n'aient pu faire leurs preuves, mais de les juger par la cohérence interne qu'elles donnent aux dialogues avant que de faire appel aux données externes, qu'il s'agisse de « vraisemblance psychologique » ou de n'importe quoi d'autre). Je voudrais suggérer que ces dialogues ne développent pas des « théories », ne donnent pas de « réponses », en tout cas pas de réponses toutes faites, parce que Platon ne savait que trop bien que nulle réponse ne vaut si elle ne vient pas de l'intérieur --« connais-toi toi-même » était la devise de Socrate, et non pas « connais-moi », moi qui te parle--, mais que bien plutôt ils pavent la route qui mènera le lecteur vers sa vérité et son être propre. Je voudrais suggérer que l'« évolution » qui peut se déceler à travers les dialogues n'est pas due aux changements d'états d'âme de l'auteur au fil des ans pendant qu'il les écrivait, mais constitue un moyen pédagogique délibérément choisi par Platon pour atteindre ses fins, et que, si elle a quelque chose à voir avec l'évolution de l'auteur, ce n'est pas avec son évolution pendant qu'il écrivait les dialogues, mais avec son évolution avant qu'il ne commence à écrire, au terme de celle-ci, et qu'il utilise ensuite sa propre expérience antérieure comme un guide pour aider les autres qui suivent le même chemin.

Avec une visée politique

Je voudrais en outre suggérer que Platon n'était pas cet idéaliste perdu dans un « monde d'idées » très haut dans le ciel pour échapper au monde d'ici-bas, mais un homme dont le principal objectif en cette vie était de former les meilleurs politiciens qui soient, et d'aider les autres à comprendre ce que veut dire mettre son logos (sa raison) au travail pour introduire le kosmos (l'ordre) dans la cité des hommes, parce que c'est cela que veut dire être des hommes, c'est à dire des animaux rationnels (logiques) politiques. C'est pourquoi la route commence avec une discussion entre le jeune Alcibiade et Socrates sur l'entrée en politique et se termine par les Lois. Mais entre les deux, un long chemin nous attend pour justifier que l'homme doive se tourner vers l'intelligible plutôt que de se laisser dominer par ses passions, et lui faire comprendre que son vrai bonheur, son vrai bien, réside dans l'harmonieux équilibre entre toutes les parties de son être, matière autant qu'esprit. Le chemin est long qui nous aidera à comprendre pourquoi nous ne devons pas nous satisfaire des « ou..., ou... » (passion ou raison, cette terre ou le ciel, moi ou les autres, etc.), mais bien plutôt viser les « et..., et... » (raison et passions, mais avec modération ; ce monde, avec ses limites matérielles, et celui de l'intelligible, des « idées » qui peuvent nous aider à surmonter certaines de ces limitations ; moi, avec la « justice » interne d'une âme tripartite harmonisée et les autres avec la justice externe d'une cité bien gouvernée ; etc.) En chemin, nous en viendrons à comprendre pourquoi les hommes agissent comme il le font, ce qui les pousse à agir (eros) et à parler (logos) ; ce qu'est le discours ; ce qu'est la science ; s'il y a une vérité ; ce que « penser » veut dire ; de quoi est fait un homme et ce que c'est que l'« âme », cette part de lui-même qui fait de lui plus qu'un simple amas de matière, et explique qu'il puisse avoir part à l'intelligible et manipuler des abstractions « immatérielles » comme les objets mathématiques ; et bien d'autres choses encore...

Un chemin magistralement structuré en direction de la vérité

Et ce long processus est structuré, le croirez-vous, en sept tétralogies, mais pas celles de Thrasylle. chaque tétralogie est constituée d'un dialogue « introductif » et d'une trilogie. Ces tétralogies obéissent à deux principes structurants, qui sont tous deux introduits dans la République, le dialogue central de la tétralogie centrale, dans deux sections symétriques par rapport au centre du dialogue où se trouve énoncé le message central de l'ensemble des dialogues, selon lequel, à moins que les philosophes ne deviennent rois ou que les rois ne se mettent à philosopher, il n'y aura pas de paix sur cette terre pour les hommes(République, V, 473c-e). Ces deux principes sont :

Un auteur usant de toutes les ressources de son art pour faire passer son message

Cette structuration rigoureuse des dialogues n'est que l'un des multiples moyens que Platon emploie pour faire passer son message. Plutôt que de se contenter d'affirmer catégoriquement, dans des « théorèmes » explicites, les vérités vers lesquelles il essaie de nous mener, il veut faire de nous des participants actifs au processus ; dans ce but, il met à contribution toutes les ressources d'un art littéraire au sommet de ses moyens pour nous fournir comme autant d'indices convergeants en direction de ce qu'il veut nous faire découvrir. Le premier de ces moyens est bien évidemment la forme dialoguée. Mais il y en a beaucoup d'autres et l'on peut dire sans risque de se tromper que, dans les dialogues de Platon, tout contribue à la compréhension et a une dimension « philosophique » : le contexte des dialogues, le nom des personnages (tous les noms de personnes de l'époque ont en grec une « signification » qui devait être évidente pour un lecteur parlant grec du temps de Platon) même lorsque ces personnages sont « historiques » (Platon n'a certes pas choisi leur nom dans de tels cas, mais c'est bien lui qui a choisi d'en faire les interlocuteurs ou les spectateurs de tel ou tel dialogue, car il doit être maintenant évident pour le lecteur qu'il ne faut pas voir dans les dialogues des reportages journalistiques sur des conversations réelles que Socrate aurait eues à un moment ou un autre de sa vie avec tel ou tel de ses contemporains, mais bien des recréations soigneusement élaborées par un écrivain de génie plus fidèle à l'esprit de son maître qu'à la vérité « historique »), les détails de la « mise en scène » de la discussion principale, etc. En d'autres termes, pour Platon, il n'y pas d'un côté l'art et de l'autre la philosophie, mais tout simplement l'art comme moyen de donner du sens et de nous élever vers la philosophie et la vérité. Mais n'est-ce pas là précisément le message derrière le discours de Diotime dans le Banquet ?...

De plus, Platon, le tenant supposé d'une « théorie des idées » que l'on pourrait tout aussi bien appeler, comme le font les anglo-saxons, « théorie des formes » (sens premier du mot grec eidos qui est bien souvent utilisé pour en parler), ne fit que mettre en pratique dans la composition des ses dialogues ce qu'il y prônait : il atttachait un soin extrême à la « forme » de ses écrits parce que la « forme » a plus a voir avec le sens que la simple « matière » (dans notre cas les mots écrits). Dans ces conditions, c'est toujours une bonne idée que de commencer par rechercher le (ou les) plan(s) d'un dialogue pour découvrir ce qu'il veut nous dire. Mais, ce faisant, il faut se souvenir que Platon, en maître de son art, prit bien soin de ne pas laisser trop apparentes les traces de sa construction et les plan de ses ouvrages, ou alors, quand il le fit, il ne faut pas se jeter trop vite sur des conclusions, oubliant que les « formes » ne sont accessibles qu'à l'esprit et que, quand elles deviennent par trop visibles, c'est qu'il y a sans doute d'autres formes plus profondément enfouies à découvrir. C'est ainsi qu'il n'est pas rare de voir dans certains dialogues plusieurs plans se superposant l'un à l'autre, un plan plus « visible » en cachant un plus « intelligible », le premier souvent déséquilibré alors que le second restitue au dialogue une parfaite symétrie (c'est la raison pour laquelle je ferai souvent référence aux tailles des sections et sous-sections d'un plan, mesuré en nombre de pages ou de lignes de l'édition Estienne, voire en d'autres mesures plus précises rendues possibles par l'informatique).

La structure d'ensemble des dialogues que je propose peut maintenant être découverte en cliquant sur le lien au début de ce paragraphe. Depuis cette « carte » des dialogues, vous pourrez ensuite vous diriger vers un commentaire gén´ral ou des commentaires par tétralogie ou par dialogue.


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Première publication le16 mai 1996 (anglais) ; le 29 novembre 1997 (français) - Dernière mise à jour le 1er décembre 2016
© 1996, 1997 Bernard SUZANNE (cliquez sur le nom pour envoyer vos commentaires par courrier électronique)
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