© 2010 Bernard SUZANNE Dernière mise à jour le 22 octobre 2010
Platon et ses dialogues : Page d'accueil - Biographie - Œuvres et liens vers elles - Histoire de l'interprétation - Nouvelles hypothèses - Plan d'ensemble des dialogues. Outils : Index des personnes et des lieux - Chronologie détaillée et synoptique - Cartes du monde grec ancien. Informations sur le site : À propos de l'auteur
Tétralogies : Page d'accueil de la République - Page d'accueil de la 4ème tétralogie - Texte du dialogue en grec ou en anglais à Perseus

La république
(4ème tétralogie : L'âme - 2ème dialogue de la trilogie)

Deuxième vague : koinônia
La communauté face aux conflits

République, V, 466d5-471c3
(Traduction (1) Bernard SUZANNE, © 2010)

[L'interlocuteur de Socrate au début de cette section est toujours Glaucon]

(vers la section précédente : 2ème vague : koinônia - Bienfaits de la mise en commun pour la cité)

[466d] [...]
Eh bien, repris-je, voilà ce qui reste à parcourir, à savoir, si, chez les humains aussi,
[il est] possible, comme chez les autres animaux, que se produise cette mise en commun, et de quelle manière [c'est] possible (2).
Tu as pris les devants, dit-il, en disant
[ceci], sur le [point] que j'allais soulever.
[466e] C'est qu'en effet, à propos des
[questions] relatives à la guerre, je pense, dis-je, évidente [est] la manière dont ils feront la guerre (3).
Comment ? reprit-il.
[C'est] qu'ils feront campagne en commun, et en plus, ils emmèneront en guerre ceux des enfants qui sont assez développés, pour que, comme ceux des autres travailleurs au service de la collectivité, ils observent ces [activités] qu'une fois achevée [leur formation], ils devront pratiquer pour la collectivité (4) [467a] et qu'en plus de l'observation, ils rendent des services et prêtent main forte dans tout ce qui a trait à la guerre et prennent soin (5) des pères et des mères (6). As-tu ou non pris conscience, dans le domaine des arts, par exemple dans le cas des enfants des potiers, de la longueur du temps qu'ils passent à observer en rendant des services avant de se mettre à faire de la poterie ?
Oui, bien sûr !
Eh bien, est-ce que ceux-là doivent prendre plus de soin que les gardiens à éduquer
[leurs enfants] sur ce qui les concerne par l'expérience et l'observation ?
Ce serait assurément tout à fait risible, dit-il.
Mais d'ailleurs, tout être vivant combat effectivement [467b] d'une manière différente (7) en présence de ceux qu'il a engendrés.
C'est ainsi. Mais le risque, Socrate, n'est pas mince, au cas où ils échoueraient, comme cela a effectivement coutume d'arriver à la guerre, causant la perte de leur enfants en plus de la leur, de rendre aussi impossible pour le reste de la cité de s'en remettre (8).
Tu dis vrai, repris-je, mais toi, penses-tu que la première chose à laquelle il faille se préparer soit le
[fait de] ne jamais prendre de risques ?
En aucun cas !
Mais quoi ? Si, d'une manière ou d'une autre, il faut prendre des risques,
[n'est-ce] pas dans ce grâce à quoi ils seront meilleurs s'ils l'accomplissent correctement ?
[C'est] clair, en effet.
[467c] Mais penses-tu que la différence est mince et ne vaut pas
[qu'on prenne] le risque, entre observer et ne pas [observer] les [activités] relatives à la guerre, pour des enfant destinés à être des hommes de guerre ?
Non, mais c'est différent du point de vue de ce que tu dis !
Eh bien donc il faut partir de là, faire des enfants des observateurs de la guerre, leur assurer en outre la sécurité, et ce sera se comporter de belle manière, non ?
Si.
Donc, repris-je, tout d'abord, leurs pères, autant que des hommes
[le peuvent], seront, non pas ignorants, mais experts en matière de [467d] campagnes, [pour déterminer] à quel point [elles sont] ou pas porteuses de risques.
Probable, dit-il.
Donc, aux unes, ils
[les] conduiront, aux autres, ils prendront garde.
Correct.
Et ils mettront bien sûr à leur tête comme dirigeants, je suppose, repris-je, non pas les plus mauvais, mais ceux qui, par l'expérience et l'âge, sont des guides et des précepteurs (9) appropriés.
Cela convient en effet.
Mais en fait, dirons-nous, souvent aussi
[c'est] contrairement à ce qu'on pensait (10)[que], pour beaucoup [de gens] en tout cas, [un événement] se produit.
Oui, bien sûr !
Donc, dans la perspective de tels
[événements], cher ami, il faut les doter d'ailes dès qu'ils sont enfants pour que, s'il le faut, ils s'enfuient en volant.
[467e] Que veux-tu dire, dit-il ?
[C'est] sur des chevaux, repris-je, [qu']il faut les faire monter les plus jeunes possibles, et, une fois qu'ils ont appris à monter à cheval, il faut les conduire pour l'observation sur des chevaux, non pas pleins d'ardeur ni combatifs, mais aussi agiles et faciles à conduire que possible (11), car ainsi, ils observeront au mieux l'activité [qui sera] la leur, et dans la plus grande sécurité, s'il le faut, ils se sauveront en suivant leurs guides plus âgés.
Tu me sembles, dit-il, parler correctement.
[468a] Mais alors qu'en est-il, dis-je, des
[questions] relatives à la guerre ? Comment faut-il que tes soldats se comportent les uns par rapport aux autres et par rapport aux ennemis ? Est-ce que cela m'apparaît correctement ou pas ?
Explique, dit-il, comment ça se passerait.
Eh bien parmi eux, dis-je, celui qui abandonne son poste ou jette ses armes ou fait quelque chose de ce genre par lâcheté, est-ce qu'il ne faut pas en faire un quelconque artisan ou paysan (12) ?
Tout à fait.
Et celui qui est pris vivant par l'ennemi, est-ce qu'il ne
[faut] pas en faire cadeau à ceux qui l'ont attrapé pour utiliser cette prise comme ils le voudront ?
[468b] Certainement, en effet.
Mais celui qui se montre le meilleur et le plus estimé, ne te semble-t-il pas devoir tout d'abord, pendant la campagne, être couronné par les adolescents et les enfants qui participent à la campagne avec lui, chacun à son tour, non ?
Si en effet.
Quoi encore ? Être salué de la main droite (13) ?
Cela aussi.
Mais ceci, je pense, repris-je, ne te semble-t-il plus
[devoir le faire] ?
Quoi ?
Le
[fait d']embrasser et [d']être embrassé (14) par chacun.
Plus que tout, dit-il, et d'ailleurs je fais un ajout à la loi : [468c] qu'aussi longtemps qu'on sera dans cette campagne aussi, il ne soit permis à personne qu'il voudrait embrasser de refuser, pour qu'aussi, si par chance quelqu'un est amoureux de quelqu'un, soit d'un mâle, soit d'une femelle (15), il soit plus rempli d'ardeur pour gagner le prix d'excellence.
Fort beau, repris-je, car qu'effectivement, à celui qui est bon, les mariages seront assurés en plus grand nombre qu'aux autres et les choix plus souvent
[en faveur] de ceux-ci que des autres, pour qu'en aussi grand nombre que possible, de ceux-ci naissent [des enfants], cela a déjà été dit (16).
Nous l'avons dit en effet, dit-il.
Mais en fait,
[c'est] aussi selon Homère [qu'il est] juste d'honorer par de telles [récompenses] [468d] ceux d'entre les jeunes qui sont bons. Et en effet, Homère dit qu'Ajax, s'étant distingué dans le combat, fut récompensé par de longs filets [de bœuf] (17), du fait que cette marque d'honneur était appropriée envers celui qui était dans la fleur de l'âge et viril, grâce à laquelle, en même temps que le [fait d']être honoré, il accroîtrait aussi sa force (18).
Tout à fait correct, dit-il.
Nous nous fierons donc, repris-je, sur ces
[questions] en tout cas, à Homère. Et en effet, nous, dans des sacrifices et autres [occasions] similaires, les bons, pour autant qu'ils se seront montrés bons, nous [les] honorerons et par des hymnes et par ce dont nous venons de parler à l'instant, et outre cela, par des places d'honneur, des morceaux de viande [468e] et des coupes pleines (19), de manière à ce qu'en même temps que le [fait de les] honorer, nous façonnions (20) les bons, hommes et femmes.
Tu dis, dit-il, de très belles
[choses].
Soit ! Mais maintenant, à propos de ceux qui meurent pendant la campagne, celui qui finirait
[sa vie] en se distinguant, est-ce que, pour commencer, nous ne dirons pas qu'il est de la race d'or ?
Tout à fait, en effet.
Mais ne nous fierons-nous pas à Hésiode, sur le fait que, lorsque des personnes d'une telle race (21) finissent
[leur vie], [469a] ces êtres quasi divins parviennent à leur plénitude purs au-dessus des demeures souterraines, nobles gardiens écartant les maux des hommes mortels (22) ?
Si, nous nous fierons à lui en effet.
Ayant donc demandé au dieu (23) comment il faut déposer
[en terre] ces [êtres] quasi divins et divins (24) et avec quelle distinction, nous les déposerons ainsi et de la manière même qu'il prescrit.
Comment donc ne pas le faire ?
Et jusqu'à la fin des temps (25), à titre d'êtres quasi divins, ainsi leur rendrons-nous un culte [469b] et nous prosternerons-nous sur leurs tombes. Et nous observerons ces mêmes usages chaque fois que quelqu'un, de vieillesse ou de quelque autre manière, atteindra le terme
[de ses jours], d'entre ceux qu'on aurait jugés tout particulièrement bons dans la vie.
[C'est] juste en effet, dit-il.
Mais quoi ? À l'égard des ennemis, comment agiront nos soldats ?
À quel point de vue donc ?
Tout d'abord, à propos de la réduction en esclavage, semble-t-il juste pour des cités grecques de réduire en esclavage pour leur profit des Grecs, ou bien de ne pas le permettre à une autre, autant que possible, et d'habituer les Grecs à cela, ménager la race grecque [469c], tout en prenant ses précautions contre la servitude sous les barbares (26) ?
Dans l'ensemble et à tous points de vues, dit-il, il importe de la ménager.
Donc ne pas posséder d'esclave grec eux non plus, et aux autres Grecs, conseiller
[d'agir] ainsi.
Tout à fait en effet, dit-il ; ainsi en effet, ils se tourneraient plutôt contre les barbares et s'abstiendraient
[de se combattre] les uns les autres.
Mais quoi ? Dépouiller, repris-je, ceux dont la fin est arrivée, exception faite de leurs armes, lorsqu'on est vainqueur, est-ce une belle manière
[d'agir] ? Ou n'est-ce pas plutôt un prétexte [469d] pour les poltrons pour ne pas marcher contre celui qui se bat, comme s'ils faisaient quelque chose de nécessaire quand ils s'activent autour de celui qui est mort, alors que déjà beaucoup d'armées ont été conduites à leur perte par une telle rapacité ?
Et comment !
Mais cela ne semble-t-il pas indigne d'un homme libre et signe de l'amour de l'argent que de dépouiller un cadavre, et d'un esprit digne d'une femme (27) et étroit que de considérer comme l'ennemi le corps de celui qui est mort, l'adversaire s'étant envolé au loin, en ne laissant derrière lui que ce avec quoi il combattait ? Ou bien penses-tu qu'ils font quelque chose de différent, ceux qui agissent ainsi [469e], de
s chiennes qui se mettent en colère contre les pierres par lesquelles elles ont été frappées, sans s'en prendre à celui qui les a lancées ?
Pas le moins du monde, dit-il.
Faut-il donc laisser tomber les dépouillements de cadavres et les obstacles mis aux relèvements
[des corps] ?
Il faut en effet les laisser tomber, dit-il, par Zeus !
Et pas plus évidemment nous n'apporterons dans les sanctuaires les armes en les y déposant comme offrandes, et en particulier celles des Grecs, pour peu que nous ayons quelque souci [470a] de bienveillance envers les autres Grecs ; mais plutôt, nous craindrons même que cela ne constitue une sorte de souillure que d'apporter dans un sanctuaire de telles
[choses] venant de [gens qui nous sont] proches (28), à moins que le dieu ne dise effectivement autre chose.
On ne peut plus correct, dit-il.
Mais quoi du saccage de la terre grecque et de l'incendie des maisons ? De quelle manière agiront tes soldats à l'égard des ennemis ?
De toi, dit-il, j'écouterais avec plaisir l'opinion énoncée
[là-dessus].
Eh bien à moi certes, repris-je, il me paraît bon de ne faire ni l'un ni l'autre, [470b] mais de prendre la récolte de l'année. Et le pourquoi de ça, veux-tu que je te
[le] dise ?
Très certainement !
Il me semble que, puisqu'aussi bien on emploie ces deux noms, « guerre » et « querelle » (29), ils sont relatifs à deux sortes de différends (30). Je veux parler de ces deux choses : ce qui est familier et apparenté d'une part, ce qui est extérieur et étranger d'autre part (31). Eh bien, relativement à l'inimitié (32) vis à vis du familier, c'est appelé « querelle », relativement à celle vis à vis de l'extérieur, « guerre ».
Et en tout cas, dit-il, tu ne dis rien
[là qui soit] contraire à l'usage.
[470c] Vois donc aussi si
[, en disant] ceci, je parle conformément à l'usage. Je dis en effet que le peuple (33) grec lui-même est à lui-même familier et apparenté, mais au [peuple] barbare, extérieur et étranger (34).
[Tu parles] de belle manière en effet, dit-il.
Par conséquent, nous dirons que les Grecs combattant les barbares et les barbares les grecs guerroient et qu'ils sont par nature ennemis (35), et qu'il faut appeler cette inimitié « guerre », mais que les Grecs vis-à-vis des Grecs, quand ils font quelque chose de ce genre, sont bien par nature amis, mais que dans une telle circonstance la Grèce est malade et se querelle, [470d] et qu'il faut appeler une telle inimitié « querelle ».
Pour ma part, dit-il, je suis d'accord avec toi qu'il faut se conformer à cet usage (36).
Considère donc, dis-je, dans ce qui est à présent communément appelé « querelle » (37), n'importe où où quelque chose de ce genre se produit et où une cité se divise
, si chacun des deux [partis] saccage les champs et incendie les maisons de l'autre, combien criminelle il semble qu'est la querelle et qu'aucun des deux [adversaires] n'aime sa cité (38)—sinon, ils n'auraient jamais osé tondre leur nourrice et mère (39)—mais qu'il est suffisant (40) que soient prises les récoltes [470e] de ceux qui ont été dominé par ceux qui ont dominé et de se penser comme devant être réconciliés et ne devant pas toujours se faire la guerre.
De
[gens] beaucoup plus civilisés (41) en effet, dit-il, [est] cette manière de penser-ci que celle-là.
Mais alors quoi ? dis-je ; La cité que tu fondes, ne sera-t-elle pas grecque ?
Il faut bien qu'elle
[le soit], dit-il.
Et donc seront-ils bons et civilisés ?
Forcément en effet.
Mais pas amis des Grecs (42) ? Ne considéreront-ils pas la Grèce comme
[faisant partie] de leur famille (43) et n'auront-ils pas en commun les mêmes sanctuaires (44) que les autres ?
Forcément aussi en effet.
[471a] Donc le différend (45) avec les Grecs, en tant que
[ceux-ci font partie] de leur famille, ils [le] considéreront comme « querelle » et ne l'appelleront pas « guerre » ?
Non en effet.
Et
[c'est] en tant que devant un jour être réconciliés [qu']ils auront donc ce différend (46) ?
Tout à fait en effet.
Alors
[c'est] avec bienveillance [qu']ils ramèneront à la raison [leurs adversaires], sans les châtier jusqu'à l'esclavage ni jusqu'à la ruine, en étant des modérateurs (47), pas des ennemis.
Ainsi
[feront-ils], dit-il.
Pas plus donc la Grèce, étant Grecs, ils ne
[la] « tondront » (48), ni n'incendieront les maisons, ni ne conviendront que dans chaque ville tous leur sont hostiles, et les hommes, et les femmes, et les enfants, mais que chaque fois un petit nombre de [gens] hostiles [sont] les responsables du différend [471b] et, pour toutes ces [raisons], ils ne consentiront pas à « tondre » leur terre, en tant qu'amis du grand nombre, ni à mettre sens dessus dessous leurs maisons, mais ils mèneront le différend jusqu'à ce point, celui où les responsables seront contraints par ceux qui souffrent sans être responsables de rendre justice (49).
Eh bien pour ma part, dit-il, je suis d'accord que
[c'est] ainsi [que] doivent se comporter nos citoyens envers les opposants, mais envers les barbares, comme [le font] à présents les Grecs entre eux.
Alors,
[faut-il] que nous instituions aussi cette loi pour les gardiens, de ne ni saccager [471c] la terre, ni incendier les maisons ?
Instituons-la, dit-il, et nous aurons pour sûr fait du beau
[travail] là et dans ce qui a précédé.

(vers la section suivante : Le philosophe roi)


(1) Pour quelques commentaires sur l'esprit dans lequel j'ai fait cette traduction, voir l'introduction aux extraits traduits de La République. (<==)

(2) Par cette réplique, Socrate annonce qu'il a terminé les deux premières étapes du programme qu'il a annoncé en 458b, au début de ce qu'il décrit comme la « seconde vague », celle suscitée par sa proposition de mise en commun entre les gardiens et gardiennes, en proposant d'« examiner quelles dispositions prendront les dirigeants une fois qu'ils (les principes de mise en commun proposés) seront devenus [réalité], et [montrer] que leur mise en pratique serait tout ce qu'il y a de plus avantageuse et pour la cité et pour les gardiens » avant de chercher si et comment une telle organisation serait possible. Il a en effet décrit dans une première section (celle que j'ai traduite sous le titre « Comment la mise en commun sera organisée ») l'organisation de cette mise en commun, puis, dans une seconde partie (celle que j'ai traduite sous le nom « Bienfaits de la mise en commun pour la cité »), il a décrit tous les avantages de cette mise en commun. (<==)

(3) On ne voit pas au premier abord quel lien il y a entre cette réplique et la précédent, qui laissait supposer que Socrate allait traiter de la possibilité d'instaurer la mise en commun des femmes et des enfants. Et de fait, toute la discussion qui suit va porter sur la manière d'organiser la guerre et de différencier la conduite à tenir selon qu'elle est faite contre des grecs ou contre des « barbares » (c'est-à-dire, dans le langage des grecs d'alors, des gens qui ne parlent pas la langue grecque et dont les propos sonnent donc aux oreilles des grecs comme une suite de « bahr bahr... » incompréhensibles, d'où leur nom, qu'on pourrait traduire en français, par analogie de formation des mots, les « blablateurs »).
D'une certaine manière, on pourrait plutôt voir toute cette section comme une conclusion à la description des gardiens commencée au livre II, en 373d avec l'introduction du risque de la guerre contre des cités voisines dès lors que la cité ne se contente pas du strict minimum vital (restrictions qui feraient d'elle, au dire de Glaucon, une cité de porcs, cf. 372d4), continuée jusqu'à la fin du livre III par l'analyse des qualités requises pour être gardien et la description de l'éducation qui leur convient, puis par le choix des dirigeants parmi eux, interrompue au livre IV par la recherche de la justice dans la cité et dans l'homme et reprise au livre V pour préciser les propos tenus à la fin du livre III, à savoir, que les gardiens seront aussi bien des hommes que des femmes, et qu'ils mettront tout en commun, y compris « conjoints » et « enfants », sans qu'à aucun moment dans toutes ces discussions, on ne s'intéresse à ce qui avait initialement motivé le besoin de gardiens, le risque de la guerre, en précisant comment ils la conduiraient, sauf le temps d'une rapide incursion d'à peine plus d'une page sur ce sujet au début du livre IV, en 422a4-423b3, en réponse à une question d'Adimante sur la manière dont une cité qui n'a pas d'argent pourra mener une guerre contre une cité grande et riche, question à laquelle Socrate se contente de répondre qu'une cité riche est une cité divisée (entre riches et pauvres ayant des objectifs et des intérêts différents), et donc affaiblie, alors qu'une cité unie et entraînée comme l'est la cité « idéale » qu'ils décrivent sera beaucoup plus forte au combat.
Cette manière de voir est d'ailleurs encouragée par la mention des chiens (hôsper kunas, 466d1) dans la réplique de Socrate qui clôt la section précédente, venant aussitôt après une réduction de l'activité des gardiens à deux rôles : garder (sumphulattein) et « chasser » (sunthèreuein), qui sont les deux activités pour lesquelles sont dressés les chiens, selon qu'ils sont chiens de garde ou chiens de chasse, dont j'ai fait remarquer dans la note ad loc. qu'elle renvoyait à la comparaison utilisée au tout début de la discussion sur les gardiens (République, II, 375a12 et 375d, sq.) où, pour montrer que l'on peut concilier dans le même individu agressivité contre l'étranger et affection pour le familier, Socrate utilise l'exemple des chiens de garde. On peut donc penser que cette allusion aux chiens renvoyant au début de la discussion sur les gardiens est une manière discrète de signaler au lecteur qu'on va revenir à ce qui avait été dit alors pour le compléter : on avait décrit alors le comportement des chiens confrontés soit aux étrangers, soit aux familiers, on va maintenant, en guise de conclusion de la discussion sur les gardiens de la cité, transposer cette analogie à leur cas, en montrant comment ils se comportent face aux ennemis (les « barbares ») et aux « parents » que sont les autres cités grecques.
Si l'on s'arrête là, la discussion qui va avoir lieu n'a en effet rien à voir avec ce qu'a annoncé Socrate dans la réplique précédente. Et c'est d'ailleurs comme ça que va le voir Glaucon, qui va finir par perdre patience et, en 471c4, mettre brutalement un terme aux développements de Socrate sur ce sujet en lui rappelant ce que, selon lui, il a mis de côté pour parler de la guerre et auquel il semble ne jamais vouloir revenir, « le fait que ce régime politique devienne possible et par quel moyen il sera un jour possible » (471c6-7). Glaucon ne voit donc aucun lien entre les développements qui sont l'objet de la section ici traduite et la possibilité du régime politique (politeia) envisagé pour la cité idéale.
Pourtant, et sans que cela invalide les considérations précédentes sur le lien entre cette section et le début de la discussion sur les gardiens, il y a une autre manière de voir qui permet de comprendre que ces développements sur la guerre et ces distinctions entre guerre (polemos) contre « barbares » et querelles (stasis) entre grecs ne sont finalement pas complètement étrangers au problème de la possibilité de la cité idéale et ne sont une digression qu'en apparence. Il suffit pour cela de réaliser que la question de savoir comment la cité idéale peut gignesthai (« naître/devenir ») comprend deux volets qui correspondent aux deux sens du verbe gignesthai, le verbe qui est justement utilisé dans la réplique précédente par Socrate dans une forme composée (eggenesthai, forme d'un verbe composé par adjonction du préfixe en- (« dans ») au verbe gignesthai), et repris par Glaucon dans la réplique évoquée plus haut qui manifeste son impatience, à l'aoriste genesthai (471c7). Tout le monde, Glaucon et les autres interlocuteurs de Socrate comme les lecteurs, semble se focaliser sur la « possibilité » prise au sens de « comment faire advenir une telle cité ? », alors que la question de la possibilité implique qu'on soit non seulement capables de faire « advenir » une telle cité, mais aussi de la faire durer dans le temps, d'assurer son « devenir » dans la durée. Et, sans le dire, c'est indirectement à cela que s'intéresse maintenant Socrate. Car c'est une chose que d'avoir montré les bienfaits de la mise en commun parmi les gardiens et du fait que tous ont les mêmes intérêts et la même notion du « mien », mais si cette cité est incapable de se défendre face au reste du monde, aux autres cités, proches ou lointaines, qui sont susceptibles de l'agresser, il n'aura servi à rien de la faire advenir. Et si l'on regarde les choses sous cet angle, on comprend aussi qu'il est logique de commencer par envisager sa possibilité de survie avant d'envisager sa possibilité de « naissance » !
Ce dont il va être ici question maintenant, c'est donc de la possibilité pour la cité idéale de survivre au milieu de ses voisines. Et cette question va déboucher sur une autre, examinée en des termes qui sont très influencés par le contexte politique grec du temps de Platon, celle de savoir comment reconnaître et prendre en compte des liens de « parenté » entre cités au-delà des crises passagères et des conflits qui peuvent exister même entre membres de la même « famille ». De même que le Socrate de Platon a pris en considération le fait qu'il fallait laisser s'exprimer une certaine agressivité même entre les gardiens (voir 464e5-465a3 et la note 33 à ma traduction de la section qui inclut ce texte), il va admettre ici qu'il puisse y avoir des conflits, des « querelles », entre cités qui devraient pourtant se considérer comme alliées du fait d'une communauté d'origine et de langue. On rejoint ici, au niveau des relations entre cités, le problème que posait Socrate au départ à propos des gardiens et qu'il illustrait par la comparaison avec les chiens de garde : comment adapter son comportement selon qu'on a affaire à des « familiers » ou à des « étrangers ».
Et on voit aussi comment cette question est la suite logique de ce qui a été traité dans la section précédente : trois risques menacent la cité : le risque d'« implosion » lorsque ses citoyens ne parviennent pas à s'entendre et à vivre ensemble en bonne intelligence, le risque de l'isolement si elle ne parvient pas à se faire des alliés et le risque de destruction si elle est agressée par des ennemis de l'extérieur. C'est le premier risque, celui de l'implosion, de la guerre civile, qui a été traité dans la section précédente. Il reste donc maintenant à voir comment la cité peut faire face aux deux autres risques, ceux qui sont liés à l'existence d'autres cités dans le monde extérieur à la cité et qui sont le risque de l'isolement et celui de la destruction. On a garanti à la cité les conditions internes de survie, il reste maintenant à s'assurer qu'elle peut survivre dans l'environnement qui est le sien, avant que de chercher à savoir comment la faire « naître », ce qui sera l'objet de la « troisième vague », qui traitera le problème dans sa globalité, sans se limiter au problème spécifique de la mise en commun des femmes et des enfants, en introduisant le principe des rois philosophes ou des philosophes rois, selon le sens dans lequel on veut le voir.
Et puisque la cité est envisagée en tant que gros caractères par rapport à l'individu, il reste à se demander comment tout cela se transpose au cas de l'individu. L'exercice n'est pas trop difficile maintenant que l'on sait que l'homme est un être composite dont l'unité n'est pas acquise d'avance (c'est le résultat de l'analyse des parties de l'âme) et qu'il n'est pas non plus un être autonome capable de vivre seul en autarcie (c'est là le constat fondateur de la cité). Il ne peut donc vivre convenablement que s'il est capable de réaliser en lui l'unité et l'harmonie entre les parties qui le constituent (tout comme la cité doit réaliser l'unité entre tous ses citoyens répartis en trois groupes aux fonctions distinctes) et qu'il est aussi capable de s'associer avec d'autre, c'est-à-dire de ne pas traiter toute personne qui n'est pas lui comme un ennemi qui le menace (pas plus que la cité ne peut subsister longtemps si elle ne sait pas se concilier des alliés). (<==)

(4) « Pratiquer pour la collectivité » traduit le grec dèmiourgein, verbe qui signifie étymologiquement « faire un travail (ergon) pour le peuple (dèmos) », et qui est de même formation que le nom dèmiourgos utilisé peu avant et traduit par « artisan » (« ceux des autres travailleurs au service de la collectivité » traduit le grec hoi tôn allôn dèmiourgôn). Le mot dèmiourgoi, habituellement traduit par « artisans », est un de ceux qu'utilise Socrate, associé à gèorgoi (« paysans » ou étymologiquement « travailleurs de la terre », cf. par exemple 415a4-7), pour parler collectivement du groupe des citoyens qui s'oppose aux gardiens et aux dirigeants. L'utilisation ici du verbe dèmiourgein pour parler de l'activité guerrière des gardiens, et même de dèmiourgoi à propos des gardiens (puisque Socrate parle de allôn (« des autres ») dèmiourgôn, ce qui fait implicitement des gardiens des dèmiourgoi parmi d'autres), est une manière, en renvoyant à l'étymologie de ces mots, de rappeler que les gardiens aussi, et pas seulement les dèmiourgoi au sens restreint d'« artisans », font ce qu'ils font pour le bien de la cité dans son ensemble, c'est-à-dire du dèmos. C'est la raison pour laquelle, pour rendre ce fait sensible dans ma traduction, je traduis ici dèmiourgoi par « travailleurs au service de la collectivité », qui développe son étymologie, plutôt que par le plus usuel « artisans », et dèmiourgein par « pratiquer [une activité] pour la collectivité ». (<==)

(5) Socrate utilise ici trois verbes de sens assez voisins, que j'ai traduits respectivement par « rendent des services », « prêtent main forte » et « prennent soin de  » :
diakonein, qui renvoie au concept de diakonos, « serviteur », dont vient le français « diacre » (serviteur de la communauté ecclésiale), et qui signifie donc « servir, être au service de » ;
hupèretein, qui renvoie à la racine hupèretès, dont le sens premier semble avoir été « rameur », mais qui s'est généralisé pour signifier « aide, assistant, serviteur, subordonné » (on trouve à la racine de ce nom le préfixe hup(o), qui signifie « sous », ce qui suggère l'idée de quelqu'un qui est « sous » les ordres d'un autre), et qui signifie donc « servir, assister », ou encore « obéir à » ;
therapeuein, qui renvoie à therapôn, nom qui, à l'origine, désignait le compagnon du guerrier, homme de haute naissance et non pas esclave, qui l'aide à passer son armure et conduit son char (c'est le terme qui désigne par exemple Patrocle dans sa relation à Achille), et qui sert aussi en poésie à désigner les serviteurs des dieux, et en fin de compte finit par désigner n'importe quel serviteur, voire esclave ; therapein a donc un registre de sens qui reproduit celui de therapôn, avec une évolution vers le sens de « servir, soigner un malade », qui est celui qui reste dans les mots français qui sont issus de cette même racine, comme « thérapie », « thérapeute », « thérapeutique », etc.
Dans tous ces verbes, on retrouve donc l'idée commune de « servir », d'« être au service de » quelqu'un, mais dans des termes qui ne se limitent pas à la situation d'un esclave par rapport à son maître. (<==)

(6) Ici encore, comme on le voit, le premier souci du Socrate de Platon est celui de l'éducation. Puisque, comme je l'ai dit dans la note 3, ce dont il est question ici, c'est de la possibilité pour la cité de subsister dans la durée, il va traiter le problème dans un ordre que l'on pourrait dire « chronologique ». Après avoir examiné au livres II et III la formation générale des gardiens, maintenant qu'on s'intéresse à leur activité principale, la défense de la cité contre les attaques extérieures, on va s'intéresser à la formation plus spécifique qui devra les préparer à cette tâche. (<==)

(7) L'adverbe utilisé par Socrate ici est diapherontôs, dont le sens premier est « différemment », un « différemment » qui peut, dans certains contextes comme ici, sous-entendre l'idée d'un « mieux ». (<==)

(8) C'est Glaucon qui met en avant le risque pour la survie de la cité, mais il n'en reste pas moins aveugle au lien qu'il y a entre ce problème et celui de la possibilité pour la cité idéale d'exister (dans la durée), qui justifie l'apparente digression de Socrate sur les questions de guerre (voir note 3). (<==)

(9) « Des guides et des précepteurs » traduit le grec hègemonas te kai paidagôgous.
Hègemôn est un nom dérivé du verbe hègeisthai, qui signifie « marcher devant, guider », donc de sens très proche de celui de archein, dont dérive archontes, le mot traduit par « dirigeants » qui apparaît en début de réplique. Hègemôn signifie donc « guide » ou « chef » (c'est d'un autre mot grec de même racine, hègemonia, « direction, autorité, prééminence », que vient le mot français « hégémonie »). Ici, la fonction attendue des « dirigeants » auquel fait référence ce mot est celle de « guides » des enfants des gardiens, chargés de les mener là où ils prendront le moins de risques pour observer les combats.
Paidagôgos, dont vient le français « pédagogue », signifie étymologiquement « celui qui conduit (agôgeus, dérivé du verbe agein) des enfants (pais) », et désignait en particulier l'esclave chargé de conduire les enfants à l'école, ou le gouverneur ou précepteur d'un enfant. Avec ce terme, Socrate a en vue le rôle éducatif que doit avoir cette observation des combats : les « dirigeants (archontes) » des enfants devront donc aussi leur commenter les combats qu'ils observent et leur en expliquer les développements, la stratégie mise en œuvre, etc., et donc jouer un véritable rôle de « professeurs » et pour cela faire preuve de ce que l'on appelle en français « pédagogie ». (<==)

(10) « Contrairement à ce qu'on pensait » traduit le grec para doxan, mot à mot « à côté de l'opinion » au sens de « pas comme on s'y attendait », c'est-à-dire « contre toute attente », « contrairement à l'idée qu'on s'en faisait ». À côté de cette expression, on trouve l'adjectif paradoxos, « contraire à l'attente », d'où « extraordinaire », dont vient le français « paradoxe ». (<==)

(11) Les différents adjectifs employés à propos des chevaux sont les suivants, en commençant par les deux qui identifient les traits de caractères que l'on veut éviter dans les chevaux des enfants destinés à devenir des gardiens :
thumoeidès : c'est l'adjectif utilisé pour qualifier la partie médiane de l'âme ; sur cet adjectif et son utilisation à propos de l'âme, voir la note 46 à mon introduction à la traduction des livres V à VII. Appliqué à un animal comme un cheval, cet adjectif peut signifier « irascible, rétif, ombrageux », bref, il qualifie un animal qui a du caractère et ne fait pas nécessairement ce que l'on attend de lui. Je le traduis ici par « plein d'ardeur ».
machètikos : ce mot est dérivé du verbe machesthai, « combattre, lutter », via le nom d'action machè, « combat, lutte », et signifie donc soit « fait pour le combat », soir « enclin à se battre, combatif, batailleur ».
podôkès : le mot est la combinaison de pous, podos, « pied », et de ôkus, « rapide, prompt, agile ». L'expression podas ôkus (« aux pieds agiles ») se retrouve fréquemment dans l'Iliade pour désigner Achille (cf. Iliade, I, 58 ; 84 ; 148 ; etc.). Podôkès signifie donc au sens premier « aux pieds agiles », et par extension tout simplement « agile, prompt, vif ».
euènios : cet adjectif est construit sur le nom hènia, « bride, rêne », par adjonction du préfixe eu-, qui ajoute l'idée de quelque chose de bien fait ou de quelqu'un qui agit bien ; il signifie donc « docile aux rênes », c'est-à-dire « facile à conduire ». (<==)

(12) Cette mesure de « reclassement » d'un gardien auxiliaire dans le groupe des artisans et paysans est intéressante en ce qu'elle montre que, non seulement l'appartenance à l'un ou l'autre groupe n'est pas héréditaire, mais elle n'est même pas acquise une fois pour toute par quiconque et suppose que, tout au long de sa vie, on montre par ses actes qu'on a bien les qualités requises pour faire partie du groupe des gardiens. Ceci n'est pas contradictoire avec les messages que veut faire passer le mythe des métaux présents dans l'âme que propose Socrate à la fin du livre III (République, III, 415a-c), car c'est une chose de dire en termes imagés, comme le fait Socrate, qu'il y a dans l'âme de chacun soit de l'or, qui rendra apte à devenir dirigeant, soit de l'argent, qui rendra apte à devenir gardien auxiliaire, soit du fer ou du bronze, qui ne lui permettra que d'être artisan ou paysan, c'en est une autre que de savoir comment reconnaître le métal présent dans l'âme de chacun. Et Socrate, de ce point de vue-là, se contente, dans le mythe, d'insister sur le fait que le métal de l'âme ne se transmet pas de manière automatique par l'hérédité et que c'est la mission principale confiée aux dirigeants par le dieu que de chercher à reconnaître les enfants ayant une âme d'or ou d'argent (415c3-6). Et toute la description de la formation des gardiens au livre VII, et le résumé qu'il en donne vers la fin (536d-540c), qui montre que les dirigeants ne seront finalement sélectionnés qu'à l'âge de cinquante ans (cf. 540a4-5), est là pour nous faire comprendre que cette reconnaissance du métal présent dans l'âme ne peut se faire qu'au fil d'un long processus de formation où c'est sur les actes que ceux qui ont antérieurement été sélectionnés comme dirigeants peuvent juger les individus et reconnaître ceux qui leur succéderont. (<==)

(13) Le grec que je traduis par « être salué de la main droite » est dexiôthènai, infinitif aoriste passif du verbe dexiousthai, formé sur le mot dexia, qui signifie au sens premier « main droite », ce qui conduit pour le verbe au sens « tendre ou lever la main droite » pour saluer ou pour prier, d'où « saluer », « serrer la main », « accueillir à bras ouverts », « embrasser (en guise de salut de bienvenue) », et finalement « honorer ». (<==)

(14) Le verbe traduit par « embrasser » (à l'actif) et « être embrassé » (au passif) est philein, dérivé de philos, « ami, aimé, cher », qui signifie au sens premier « chérir, aimer d'amitié » et par extension « donner des marques d'amitié, embrasser » ou encore « aimer (faire quelque chose) ». L'hésitation que marque Socrate sur le fait de savoir si Glaucon le suivra jusque là peut être due à l'ambiguïté d'une telle attitude dans le contexte grec de l'époque. S'agit-il simplement de donner l'accolade en tout bien tout honneur à celui qui s'est distingué ou de vrais baisers avec des arrière-pensées plus ou moins érotiques ? À première vue, le verbe choisi, philein, oriente vers une compréhension dénuée de telles orientations érotiques. Sans oublier que, dans la logique communautaire décrite auparavant par Socrate, les gardiens sont presque tous « parents » les uns des autres et que donc les combattants ainsi honorés seront vus comme des « parents » (père ou mère, selon le sexe) ou des « grands-parents » par la plupart des enfants et les adolescents qui leur manifesteront ainsi leur admiration. (<==)

(15) « Soit d'un mâle, soit d'une femelle » traduit le grec è arrenos è thèleias, dans lequel sont employés les adjectifs arrèn, « masculin, mâle » au génitif masculin et thèlus, « féminin,  femelle», au génitif féminin, qualifiant un tou qui précède, génitif masculin ou féminin de tis, « de quelqu'un(e) ».
Le premier effet de cette formule est de nous rappeler, au cas où on l'aurait oublié, que ces gardiens/soldats ne sont pas que des hommes, mais aussi bien des hommes que des femmes, sans doute en nombre sensiblement égal.
Ceci étant dit, le choix des mots permet à Glaucon d'éviter des termes plus précis qui rappelleraient que Socrate était en train de parler d'adolescents et d'enfants (meirakiôn kai paidôn, 468b3-4) venus observer leurs aînés au combat et honorant les plus vaillants, et que donc la proposition de Glaucon, qui passe de la simple philia supposée par Socrate (même si ce verbe, utilisé dans le sens d'« embrasser », ne préjuge pas des sentiments qu'éprouvent ceux qui s'embrassent) à l'erôs, l'amour à connotation sexuelle, puisqu'il emploie le verbe eran, « aimer d'amour », si elle se limite au contexte des propositions antérieures de Socrate, donne une orientation pédérastique (mot dérivé du grec paiderastès qui désigne quelqu'un qui est amoureux (erastès) d'enfants (paides) à ses propos.
Mais en fait, en utilisant un tis (« quelqu'un ») et un tou (« de quelqu'un ») très généraux, et donc très ouverts, après avoir employé juste avant un « personne (mèdeni) », lui aussi très général, Glaucon fait une proposition qui ne se limite peut-être pas aux adolescents et aux enfants dont parlait Socrate, mais pourrait s'ouvrir à des relations amoureuses entre des soldats adultes. Et comme le tis et le tou peuvent aussi bien être masculin que féminin et que celui ou celle auquel renvoie le tis sujet est supposé aimer d'amour un(e) tou qui peut être « soit mâle, soit femelle », d'un point de vue strictement grammatical, la formule couvre potentiellement tous les cas possibles : un homme amoureux d'un garçon ou d'une fille, une femme amoureuse d'un garçon ou d'une fille, donc aussi bien des amours hétérosexuelles qu'homosexuelles entre hommes ou entre femmes.
Bref, Glaucon a trouvé là, sans en avoir l'air, un moyen d'étendre la proposition limitée de Socrate par un amendement législatif d'un niveau de généralité tel qu'il peut couvrir toutes les formes d'amour imaginables entre êtres humains de la part de qui s'illustre au combat ! (<==)

(16) Décidément, Socrate et Glaucon ne sont pas sur la même longueur d'onde ! Socrate propose que tous les futurs gardiens (des deux sexes) venus observer leurs aînés (des deux sexes) embrassent publiquement (donnent publiquement l'accolade à) celui ou celle qui se sera montré le meilleur au combat, Glaucon répond en vantant l'émulation que pourrait produire sur un soldat (de l'un ou l'autre sexe) l'espoir de pouvoir embrasser et être embrassé en public ou en privé par celui ou celle (une seule personne donc) dont il est amoureux (qu'il soit du même sexe ou de sexe opposé, de la même tranche d'âge ou encore un enfant). À ce commentaire de Glaucon qui se fonde sur la spontanéité et le hasard (Glaucon emploie l'expression tuchèi, « par chance ») dans les relations amoureuses et n'exclut ni l'homosexualité, ni la pédérastie, Socrate répond en semblant le louer (kalôs, le premier mot de sa réponse, est un adverbe dérivé de kalos, « beau », qui signifie textuellement « de belle manière », c'est-à-dire « bien »), mais en fait en lui rappelant que, conformément à ce qui a été dit antérieurement sur la mise en commun des femmes (cf. 459c-e), les relations sexuelles entre gardiens ne seront envisagées que pour la reproduction et dans le cadre exclusif de mariages « arrangés » dans une perspective « eugénique » entre personnes de sexe différent. Il ne parle d'ailleurs plus du « meilleur » (ton aristeusanta, « celui qui se montre le meilleur », 468b2), ce qui renvoie à une seule personne, mais du « bon » (agathôi onti, « à celui qui est bon », 468c5), ce qui renvoie potentiellement à plusieurs personnes, comme le montre la suite de la phrase où le pluriel remplace le singulier pour faire référence à ces « bons » à l'aide de pronoms, et il ne fait plus référence à des récompenses décernées pendant la campagne, comme le faisait Glaucon dans son amendement à la loi, mais à des mariages (gamoi), qui ne seront sans doute célébrés qu'après le retour dans la cité (on ne va sans doute pas prendre le risque de laisser mettre enceintes une partie des gardiennes/soldats pendant qu'on est encore en campagne).
Exit donc l'idée suggérée par Glaucon de laisser chacune et chacun donner libre cours à ses penchants naturels dans ses relations amoureuses, sauf à supposer que ces baisers « volés » par les meilleurs au combat après ces « remises de prix » collectives (ceux qu'ils demanderont ensuite à l'aimé(e) qui ne pourront lui être refusés selon l'amendement proposé par Glaucon) seront les seules entorses à la loi sur le mariages qui leur permettraient de satisfaire leurs inclinaisons naturelles et n'en seraient donc que plus recherchés, poussant les gardiens à se surpasser encore plus. Mais je ne suis pas sûr que c'était là ce qu'avait dans l'esprit Glaucon, qui voyait sans doute plutôt dans sa proposition une manière pour un amant éconduit de pourvoir satisfaire sous la protection de la loi une passion amoureuse non partagée par l'aimé !
Par contre, la réponse de Socrate marque implicitement la frontière entre les témoignages de camaraderie fraternelle qui sont de mise en campagne et les relations sexuelles qui sont régulées par la cité et n'ont pas leur place en campagne. (<==)

(17) Socrate ne fait pas ici une citation littérale d'un vers de l'Iliade (Iliade, VII, 321), mais en reprend quelques termes en les ajustant à son propos. Le vers en question est extrait de la description du banquet qu'offre Agamemnon dans sa tente aux chefs de Grecs après qu'Ajax soit revenu sain et sauf du combat singulier qu'Hector avait proposé aux Grecs et qui s'est terminé sans qu'aucun des deux combattants n'ait pris le dessus sur l'autre. Agamemnon a tué un bœuf et en offre les meilleurs morceaux à Ajax. Le vers dont Socrate reprend les termes est
    nôtoisin d' Aianta diènekeessi gerairein
    
récompenser Ajax par de longs filets (ou des dos entiers)
cité sous la forme Homèros... nôtoisin Aianta ephè diènekeessi gerairesthai (« Homère dit que... »).
Le sens premier du mot nôton, dont nôtoisin est le datif pluriel est « dos » en parlant d'un homme ou d'un animal. Ce mot est qualifié par l'adjectif diènekès, dont diènekeessi est le datif pluriel, qui signifie « allongé, étendu, continu ». Cette expression est à comprendre dans le contexte de la scène décrite par Homère, où, quelques vers plus haut, il a indiqué qu'Agamemnon avait sacrifié un bœuf, et en a décrit les préparatifs en vue du banquet. Faute de connaître avec précision le sens des termes de la « boucherie » homérique, il est difficile de savoir exactement à quels morceaux du bœuf ces mots font référence, et les traducteurs, aussi bien d'Homère que de Platon, divergent sur ce point. Mais ce point est somme toute secondaire, l'idée importante du texte étant qu'on a honoré le vaillant combattant en lui donnant les meilleurs morceaux, ou les plus gros (ainsi, Leroux comprend diènekeessi comme signifiant « dans toute leur longueur » et explique en note que ce qui distingue Ajax des autres participants au banquet, c'est qu'à lui, on a donné l'échine non découpée, alors que les autres n'ont reçu que des morceaux). Je retiens la traduction par « filets », qui est celle retenue par Mazon dans sa traduction de l'Iliade pour la collection Budé, car c'est celle qui évoque pour nous aujourd'hui les meilleurs morceaux du bœuf. (<==)

(18) Le choix de l'exemple de marque d'honneur que Socrate va chercher chez Homère est intéressant, car il n'est pas le plus évident de ceux qu'on pourrait retenir et de plus, il n'a rien à voir avec tout ce dont il vient d'être question en termes de récompenses guerrières. Et pourtant, le commentaire que fait Socrate de cet exemple montre que ce choix n'a pas été fait au hasard, que le décalage entre l'exemple et ce qui l'a précédé est fait pour nous interpeler et qu'il contient donc sans doute une leçon pour nous, qu'il nous reste à découvrir.
Et de fait, ce que montre la mise en évidence du double avantage résultant de cette marque d'honneur, c'est que le Socrate de Platon prend soin de la personne tout entière, corps et âme, et veille à ce que chaque partie de son âme trouve sa part de satisfaction : la marque d'honneur qu'il retient est d'ordre alimentaire si bien que, comme il le fait explicitement remarquer, outre le fait de flatter l'ego du bénéficiaire, au niveau donc de la partie thumoeides de l'âme, elle permet à son corps d'accroître sa vigueur en offrant au passage à la partie désirante (etipthumetikon) de son âme la satisfaction « gourmande » de profiter des meilleurs morceaux de l'animal sacrifié.
Mais la leçon ne s'arrête pas là. En proposant cet exemple à Glaucon qui vient d'orienter la discussion sur les récompenses appropriées aux guerriers les plus valeureux vers des satisfactions d'ordre sexuel et l'exaltation du sentiment amoureux comme motivation des combattants, Socrate nous invite à réfléchir sur la pertinence des satisfactions à apporter aux différents epithumiai (« désirs, passions, pulsions ») qui sont en nous en fonction du contexte. Qu'il faille permettre aux pulsions sexuelles de se satisfaire, nul ne le conteste, pas même lui (voir les mesures proposées antérieurement pour permettre des satisfactions sexuelles aux gardiens qui ont passé l'âge de la procréation, 461b9-c7), mais quel bénéfice attendre de telles satisfactions en plein milieu d'une campagne militaire, comparé au bénéfice qu'on retire d'une armée en pleine forme parce que bien nourrie et dans laquelle on honore les meilleurs en leur offrant les meilleurs morceaux ?
Et si l'on note que la citation retenue par Socrate vient de l'Iliade, c'est-à-dire d'une épopée qui nous raconte un court épisode ayant eu lieu dans la neuvième année d'une longue guerre et dont l'origine est une querelle entre rois pour une femme (Hélène, ravie à son époux Ménélas, roi de Sparte et frère d'Agamemnon, par Pâris, fils de Priam, roi de Troie), pour nous montrer les conséquences dévastatrices pour deux peuples en guerre l'un contre l'autre, les Grecs assiégeant les Troyens, d'un différent amoureux entre leurs dirigeants, dans notre cas Achille et Agamemnon, dans une histoire de partage de butin et plus précisément dans l'attribution d'une femme troyenne capturée en campagne au plus valeureux des guerriers, Briséis, initialement attribuée à Achille, qu'Agamemnon décide finalement de prendre pour lui, provoquant la « bouderie » d'Achille, dont résulte la presque défaite des Grecs et la mort de son plus fidèle compagnon, Patrocle, on peut penser qu'il y a aussi ici de la part de Socrate une incitation à réfléchir sur les dangers des pulsions sexuelles pour une armée en campagne et plus généralement sur les risques que les passions amoureuses de personnes au pouvoir font courir à leurs peuples et à leurs armées. (<==)

(19) « Par des places d'honneur, des morceaux de viande et des coupes pleines » : ici encore, Socrate cite presque textuellement un vers d'Homère qui revient par deux fois dans l'Iliade (en VIII, 162 et en XII, 311) pour parler des honneurs rendus à de vaillants guerriers, la première fois dans bouche d'Hector pour faire honte à Diomède qui prend la fuite devant les Troyens en lui rappelant sa gloire passée, la seconde fois dans la bouche de Sarpédon pour encourager Glaucos à le suivre au combat en lui rappelant les honneurs dont tous deux ont été couverts :
    hedrèi te kreasin te ide pleiois depaessi
    Par une place d'honneur et des morceaux de viande et des coupes pleines,
que Socrate reprend sous la forme :
    hedrais te kai kreasin ide pleios depaessin.
(pluriel au lieu du singulier pour le premier mot, kai ajouté après le premier te, suppression du second te, nu euphonique ajouté à la fin du dernier mot, du fait de la voyelle initiale du mot suivant de sa réplique, hina). Ici encore, Socrate choisit une formule qui associe marques d'honneur purement symboliques (hedra, mot signifiant « siège, trône », mais aussi « place pour s'asseoir », et en particulier « place d'honneur » dans un contexte comme le nôtre) et récompenses plus « consistantes », ici viandes et boissons. (<==)

(20) Le verbe grec que j'ai traduit par « nous façonnions » est askômen, première personne du pluriel du subjonctif présent actif de askein, verbe dont le sens premier est « façonner, travailler à », dans le cadre d'un travail d'artisan, et donc « travailler avec art » et de là « orner, arranger » ou encore « exercer, pratiquer », en particulier pour un athlète. Le nom d'action dérivé de ce verbe est askèsis, « exercice, pratique », et par extension « genre de vie » de quelqu'un qui s'entraîne, un athlète en particulier, d'où le sens pris par le mot « ascèse », qui en dérive en français. Mais ici, et à la lumière de ce qu'a dit Socrate auparavant, ce n'est pas vraiment d'ascèse qu'il est question, puisqu'on parle au contraire de nourrir et d'abreuver tout particulièrement les bons pour les récompenser, mais de mesure visant à « façonner » leur corps d'athlète par une nourriture plus riche et plus abondante. Et si l'on veut voir dans ces dispositions une méthode d'« entraînement », il faut les lire à la lumière des propos de l'Athénien des Lois parlant au livre I de la boisson dans les banquets comme moyen de s'entraîner à la maîtrise de soi. (<==)

(21) Le mot que je traduis ici par « race » est genos, que j'avais traduit par « famille » en 460c6, dans l'expression to genos tôn phulakôn (« la famille des gardiens ») pour des raisons que j'explique dans la note 35 à ma traduction de cette section. Si je le traduis ici par « race » (à prendre dans le sens de ce mot dans une formule comme « il fait partie de la race des seigneurs »), c'est parce qu'ici, Socrate fait référence, comme on va la voir dans la note suivante, au mythe des races/espèces d'hommes proposé par Hésiode dans Les travaux et les jours, 106-201, qui parle de genè anthrôpôn, de « races/espèces d'hommes », créées successivement par les dieux de l'Olympe. (<==)

(22) Socrate renvoie ici, à l'aide d'une citation adaptée à son propos (comme l'étaient les deux précédentes citations d'Homère) au mythe des races proposé par Hésiode dans Les travaux et les jours, 106-201. Dans ce mythe, qui, au-delà d'une parenté de terminologie dans la référence à des métaux, diffère sensiblement de celui que proposait Socrate à la fin du livre III (République, III, 415a-c), Hésiode parle de cinq genè (« races/espèces ») d'hommes créées successivement par les dieux de l'Olympe pour les deux premières, la race d'or, puis la race d'argent, et par Zeus pour les suivante, la race de bronze, puis la race des héros, enfin la race de fer dont Hésiode se plaint de faire partie, chaque genos étant créé epei dè touto genos kata gai' ekalupse, « lorsque la terre eut complètement recouvert ce [le précédent] genos », refrain qui revient chez Hésiode à chaque transition d'un genos au suivant (vers 121, 140, 156). Les vers auxquels renvoie Socrate (vers 122-123) concernent la première race, la race d'or, et font immédiatement suite à la première occurrence de ce « refrain », avant qu'Hésiode ne mentionne le genos suivant, la race d'argent.
Le texte mis par Platon dans la bouche de Socrate est le suivant :
    hoi men daimones hagnoi epichthonioi telethousin
    esthloi alexikakoi phulakes meropôn anthrôpôn
.
Le texte donné par Mazon, dans son édition d'Hésiode dans la collection Budé, qui est celui des manuscrits, est le suivant :
    toi men daimones eisi Dios megalou dia boulas
    esthloi, epichthonioi, phulakes thnètôn anthrôpôn

qu'il traduit par
   « ils sont, par le vouloir de Zeus puissant, les bons génies de la terre, gardiens des mortels »,
que Baccou, dans une note ad loc. de sa traduction de la République pour Garnier où il donne ce texte d'Hésiode, traduit ainsi :
    « de par la volonté du grand Zeus, ils sont de bons génies, résidant sur la terre et gardant les mortels »
et que, pour ma part, je préfère traduire par
    « ces êtres quasi divins sont, par les volontés du grand Zeus, au-dessus des demeures souterraines, nobles gardiens des hommes mortels ».
Quant à Hugh G. Evelyn-White, dans son édition des œuvres d'Hésiode pour la collection Loeb (reprise sur le site Perseus auquel donnent accès les liens de cette note), il donne le texte suivant :
    toi men daimones hagnoi epichthonioi kaleontai
    esthloi alexikakoi phulakes thnètôn anthrôpôn

Qu'il traduit en anglais par
    « they are called pure spirits dwelling on the earth, and are kindly, delivering from harm, and guardians of mortal men ».
Et le site Thesaurus Linguae Graecae (TLG) donne le texte suivant, issu de l'édition de F. Solmsen, Hesiodi opera. Oxford: Clarendon Press, 1970 :
    toi men daimones hagnoi epichthonioi telethousin
    esthloi alexikakoi phulakes thnètôn anthrôpôn

Mais Platon cite ces deux vers ainsi que celui qui précède en Cratyle, 397e12-398a2, dans le cadre d'une explication à visée étymologique du sens du mot daimones, sous une forme différente :
     autar epeidè touto genos kata moir' akalupsen
    hoi men daimones hagnoi hupochthonioi kaleontai
    esthloi, alexikakoi, phulakes thnètôn anthrôpôn

qu'on peut traduire par
    « mais depuis que la destinée (moira) a complètement recouvert ce genos, ces êtres quasi divins (daimones) sont appelés purs résidants des demeures souterraines, nobles gardiens écartant les maux des hommes mortels ».
Comme on le voit, le texte de ces deux vers est loin d'être assuré (les mots ou parties de mots communs à tous les textes cités sont en gras dans les citations du grec) et il est probable que les deux citations différentes qu'en fait Platon ont contribué à perturber les éditeurs, puisque les deux éditeurs anglais cités ici ont remplacé la seconde partie du vers 122 donnée par les manuscrits (eisi Dios megalou dia boulas) par un texte obtenu par un mélange des deux citations qu'en fait Platon : Evelyn-White (Perseus) retient le hagnoi (« purs, saints, sacrés ») commun aux deux citations de Platon, puis le epichthonioi (« résidant au-dessus des demeures souterraines ») de la citation de la République et le kaleontai de la citation du Cratyle, alors que Solmsen (TLG) retient les trois mots provenant de la citation de la République (hagnoi epichthonioi telethousin). De ce fait, l'un et l'autre sont obligé de remplacer le epichthonioi du vers suivant des manuscrits, qui devient redondant avec celui qu'ils ont conservé de Platon au vers précédent, par le alexikakoi (« qui écarte les maux, qui repousse le mal », mot rare formé sur la racine du verbe alexein, « écarter, repousser », et sur l'adjectif kakos, « mauvais ») pris à Platon (chez qui il figure dans les deux citations qu'il fait de ces deux vers d'Hésiode et nulle part ailleurs, et qu'on ne retrouve pas ailleurs chez Hésiode).
Entre les deux citations que fait Platon de ces deux vers, les différences (en rouge dans le texte ci-dessus) portent sur trois mots :
-  le verbe qui termine le vers 121 (telethousin, « parviennent à leur plénitude », dans la République ; kaleontai, « ils sont appelés », dans le Cratyle) ;
-  le préfixe du mot formé sur chthonios, « souterrain » (mot dérivé de chthôn, « la terre », considérée en particulier comme l'enveloppe d'un monde souterrain, royaume des morts), qui est epi (« sur ») dans la République, hupo (« sous ») dans le Cratyle ;
-  le qualificatif appliqué aux hommes à la fin du vers 123, qui est thnètôn (« mortels ») dans le Cratyle et meropôn dans la République, mot de sens incertain mais qui semble être un synonyme de thnètôn (« mortels »), qu'on trouve dans l'expression genos meropôn anthrôpôn quelques lignes plus haut, au vers 109, au début de la description de la race d'or, et à nouveau au vers 143, au début de la description de la race de bronze, puis au vers 180, lorsque le poète parle de l'anéantissement futur de la race de fer, et qu'on trouve aussi, toujours dans le couple meropôn anthrôpôn, assez souvent chez Homère (9 fois dans l'Iliade : I, 250 ; II, 285 ; III, 402 ; IX, 340 ; XI, 28 ; XVIII, 288, 342, 490 ; XX, 217 ; et 2 fois dans l'Odyssée : XX, 49, 132).
Les mots qui sont communs à toutes les versions de ces deux vers sont, en dehors du men, particule intensive généralement ignorée par les traducteurs, et de l'article initial à valeur de démonstratif, qui figure sous la forme usuelle hoi chez Platon et sous la forme poétique ancienne toi dans les diverses éditions d'Hésiode :
daimones : nominatif pluriel de daimôn, mot dont vient le français « démon », et dont le sens a évolué au fil du temps, d'un presque synonyme de « dieu, divinité » chez Homère jusqu'à celui de « mauvais esprit » ou « démon » au sens moderne du français dans la Bible en passant par le sens que lui donne Platon lorsque, dans le Banquet, il décrit Erôs comme un daimôn, en expliquant qu'il s'agit d'une créature intermédiaire entre les dieux et les hommes (Banquet, 202d, sq.) (d'où ma traduction par la périphrase « êtres quasi divins ») ;
- (epi)chthonioi : déjà évoqué plus haut, qui rattache ceux dont il est question à la terre, epichthonios, le mot qu'on trouve dans toutes les versions du poème d'Hésiode et dans la citation de la République, signifiant « qui vit au-dessus du monde souterrain » ou encore « sur la terre », par opposition au hupochthonios du Cratyle, dont la signification diffère peu de celle de chthonios, et qui signifie « souterrain » ou « vivant sous terre » ;
esthloi : nominatif pluriel de l'adjectif poétique esthlos, qui signifie « beau, bon, noble, honnête » ou encore « brave, courageux » et encore « sage, sensé, prudent », et a un sens voisin d'agathos, mais avec un coloration morale plus nette ;
phulakes : terme qui nous est maintenant familier et qui signifie « gardiens » ;
anthrôpôn : génitif pluriel de anthrôpos, mot signifiant « homme » au sens de l'espèce, par opposition aux dieux et indépendamment du sexe.
Si l'on cherche à comprendre comment Platon, dans chaque cas, a pu passer du texte donné par les manuscrits d'Hésiode, en le supposant correct, à celui qu'il cite, on constate qu'il a apporté deux modifications majeures :
- d'une part, il laisse dans les deux cas tomber la référence aux volontés de Zeus (Dios megalou dia boulas), dont on voit mal comment elle aurait pu être importée dans le texte d'Hésiode par corruption d'un texte original qui serait celui de Platon, parce qu'elle n'apportent rien à son propos et risquerait plutôt de détourner la conversation vers d'autres questions incidentes, qu'il remplace par un simple hagnoi (« purs, saints, sacrés »), utilisant un adjectif qui sert à Homère à désigner la pureté des dieux et des déesses ;
- d'autre part, il remplace dans chaque cas le verbe eisi (« sont ») par un verbe plus adapté à son propos du moment : kaleontai (« ils appellent », au sens de « donner un nom ») dans la citations du Cratyle qui est introduite par Socrate comme une sorte de définition du terme daimones (« sais-tu donc ce qu'Hésiode dit que sont les daimones ? (oistha oun tinas phèsin Hèsiodos einai tous daimonas ;) » (397e5-6) ; telethousin (« parviennent à leur plénitude »), dans la citation de la République qui utilise la citation d'Hésiode pour décrire le sort des gardiens, assimilés à sa race d'or, qui teleutèsôsin (« finissent [leur vie] »), troisième personne du pluriel du présent de l'indicatif actif du verbe telethein, verbe qui signifie « être, apparaître, se trouver », presque synonyme donc de eisin, mais qui, du fait de sa proximité phonétique avec les verbes de la famille de telos (« fin, terme, achèvement, accomplissement ») comme teleutan (« finir, achever, accomplir » et aussi « mourir ») dont le teleutèsôsin qui a précédé est issu, peut aussi signifier « être complet, achevé, dans sa plénitude ».
Ceci fait, pour redonner à sa citation tronquée la rythmique des vers d'Hésiode (au point d'avoir trompé les éditeurs modernes) ;
- il anticipe le epichthonioi du second vers pour équilibrer le premier, le transformant en un hupochthonioi dans le Cratyle où il traite successivement des dieux (theoi), des daimones, des héros (hèrôes) et des hommes (anthrôpoi), et où ce sont des héros dont il fait des « demi-dieux » (hèmitheoi, 398c11), reléguant les daimones à n'être que les âmes des hommes de bien après leur mort, âmes qui vivent dans le monde souterrain selon les croyances de l'époque ;
- il remplace cet adjectif par alexikakoi (« qui écarte les maux, qui repousse le mal »), mot rare et donc un peu pédant qui ne détonne pas dans une paraphrase d'Hésiode, pour équilibrer le second vers ainsi amputé, utilisant là un terme qui convient bien pour expliquer le rôle de « gardiens » (phulakes) que la citation d'Hésiode attribue aux daimones, rôle que, dans un cas comme dans l'autre, Platon entend conserver, en particulier dans le contexte de la République, où il se prête tout particulièrement au détournement que fait Platon des vers d'Hésiode puisque ce sont ces gardiens accomplis qui, chez lui, constituent la « race » d'or, mais aussi dans le Cratyle, où Socrate réinterprète l'expression chrusoun genos (« race d'or ») dans un sens qui s'approche de celui qu'il lui donne dans la République, c'est-à-dire un sens analogique pour désigner ceux qui sont « bons et beaux » (agathon te kai kalon, 398a5).
Si maintenant on fait le bilan de ces modifications en prenant un peu de recul par rapport au mot à mot, on voit que Socrate reprend à Hésiode le terme de daimones pour qualifier après leur mort des hommes appartenant à un groupe que tous deux désignent par l'expression « race d'or », et leur attribue comme lui un rôle de « gardiens » (phulakes) vis à vis des vivants, tous deux qualifiant ces gardiens de « nobles » (esthloi). Mais là où Hésiode voit dans cette « race d'or » des êtres mythiques ayant vécu dans un lointain passé maintenant révolu, sans grand rapport avec les hommes d'aujourd'hui, qui constituent pour lui la cinquième « race » là où la race d'or était la première, sinon d'être des créatures mortelles par opposition aux dieux immortels (le mythe chez Hésiode commence par chruseon men prôtista genos meropôn anthrôpôn/ athanatoi poièsan Olumpia dômat' echontes, « d'or en effet la toute première race d'hommes mortels/les immortels fabriquèrent, qui ont leurs demeures sur l'Olympe », vers 109-110), et attribue leurs mérites à leurs créateurs immortels et leur destin au bon vouloir de Zeus, Socrate y voit les meilleurs d'entre les hommes d'aujourd'hui, sélectionnés et formés depuis leur plus jeune âge pour être les gardiens de leurs concitoyens, dont le destin à leur mort dépendra de leurs mérites en cette vie et de la manière dont ils y ont joué leur rôle de gardiens, les meilleurs d'entre eux (ici, ceux que la mort au combat dans des circonstances particulièrement méritoires a empêchés de continuer à mettre au service de leurs concitoyens en cette vie leurs qualités exceptionnelles) ayant mérité de continuer après leur mort à jouer comme daimones leur rôle de gardiens des vivants de manière accomplie. Chez Hésiode donc, un mythe qui n'est que mythe et n'aura d'effet sur les vivants que pour ceux qui veulent bien y croire, et encore, car, en attribuant tout ce qui advient aux hommes en cette vie et après la mort aux dieux et au bon vouloir de Zeus, et en présentant l'histoire des hommes comme une suite de dégradations à partir d'un état initial idéalisé et devenu inaccessible, il a un effet démobilisateur ; chez Platon au contraire, un mythe qui se sait tel et se veut mobilisateur aussi bien pour ceux qui ne comprennent que le langage des images que pour ceux qui savent « décoder » ces images, dans un sens qui incite chacun à donner le meilleur de lui-même.
Pour terminer cette note, quelques remarques sur l'utilisation des citations par Platon et l'attitude des éditeurs et traducteurs par rapport à celles-ci. La plupart d'entre eux en effet semblent considérer que, lorsque Platon cite un auteur, il le cite nécessairement littéralement et que, si le texte de la citation de Platon ne correspond pas à celui que l'on connaît par ailleurs de l'auteur cité (quand on le connaît), c'est soit la mémoire de Platon qui est en cause, soit la transmission du texte de l'auteur cité qui est en faute. L'exemple de cette « citation » d'Hésiode montre que, lorsqu'on replace la citation dans son contexte chez Platon, on peut trouver des explications à ce qui semble au premier abord être une erreur de citation. Certes, cela ne prouve pas que ce n'est pas la mémoire de Platon ou la tradition du texte supposé cité qui est en faute, mais cela oriente vers une autre possibilité, qui est que Platon, comme peut-être d'autres de ses contemporains, ayant, comme tous les Grecs de leur temps, appris à lire et à mémoriser dans Homère et Hésiode, et dans une moindre mesure dans les autres poètes antérieurs et contemporains, dont ils devaient connaître de large extraits, sinon la totalité, par cœur, en un temps où la mémoire était beaucoup plus sollicitée et entraînée que de nos jours où l'on peut presque tout retrouver sur Internet, dans des archives écrites, dans des registres, dans des journaux ou dans des livres accessibles facilement, s'amuse à l'occasion, non pas à citer, mais à paraphraser ou parodier les auteurs que tous connaissaient, par exemple pour détendre l'atmosphère ou au contraire pour donner un air plus sérieux à leurs propos. La « citation » d'Hésiode qui nous occupe est particulièrement intéressante à ce point de vue, car il n'y a guère moyen d'attribuer la transformation de la seconde partie du premier vers (la disparition de la référence à la volonté de Zeus), à une déformation du texte par la tradition ou à une perte de mémoire de Platon, tant le texte cité s'écarte de ce que la tradition directe nous donne comme texte original : ou bien il y a deux traditions complètement différentes sur le texte de ce passage d'Hésiode, qui devait pourtant être un des plus connus de ce poète, ou bien le changement complet effectué dans la citation qu'en fait Platon est délibéré de la part de ce dernier. Alors, si par ailleurs, on peut trouver des raisons de cohérence avec la discussion dans laquelle prend place la citation pour les modifications qu'elle semble avoir subie par rapport au texte reçu, la probabilité pour que les changements soient volontaires est grande. Et si tel est le cas, le fait que Platon apporte des modifications aussi conséquentes à ces deux vers d'Hésiode sans que personne, dans l'assemblée nombreuse qui écoute son Socrate, et qui inclut, outre Adimante et Glaucon, des gens comme Thrasymaque et Lysias, et quelques fils de bonnes familles d'Athènes, Nicératos, fils de Nicias, et Clitophon, fils d'Aristonyme (cf. 327c et 328b), ne le reprenne suggère que cette manière de faire était courante à l'époque et ne choquait personne. De même que Socrate s'est amusé à mobiliser Homère pour faire passer l'idée que les récompenses aux valeureux guerriers pouvaient inclure des éléments susceptibles d'entretenir et même d'améliorer leur forme physique, il s'amuse ici à mobiliser Hésiode, quitte à l'arranger à sa sauce, pour faire passer l'idée que la mort ne doit pas faire peur aux gardiens et que, si c'est en braves qu'ils sont tués, ils continueront leur fonction de gardiens dans l'éternité.
Et le fait supplémentaire dans notre cas que Platon ait cité deux fois ces mêmes vers dans deux dialogues différents, mais chaque fois avec un texte différent, en particulier en ce qui concerne le verbe qui termine le premier vers cité (telethousin, « parviennent à leur plénitude », dans un cas, kaleontai, « ils sont appelés », dans l'autre), qui, chaque fois, s'ajuste parfaitement au contexte dans lequel est faite la « citation », ne fait que renforcer cette idée que les modifications sont délibérées et s'insèrent dans le cadre d'une pratique qui devait être courante à l'époque. (<==)

(23) Si l'on rapproche ce texte de République, IV, 427b-c, où Socrate explique que c'est à l'Apollon de Delphes de fixer les lois relatives « au culte des dieux et des êtres quais divins et des héros (theôn te kai daimonôn kai hèrôôn therapeia) » (427b6-7), on voit que le dieu dont il est ici question est Apollon consulté à travers la Pythie de Delphes. (<==)

(24) Je continue, ici et dans la suite de cette section, à traduire daimones, et ici l'adjectif daimonios substantivé (tous daimonious, accusatif masculin pluriel), par « êtres quasi divins » pour les raisons expliquées dans la note 22. Ici, à côté des êtres qui sont daimonious (« quasi divins »), Socrate envisage aussi ceux qui sont theious, « divins » à proprement parler. (<==)

(25) « Jusqu'à la fin des temps » traduit le grec ton loipon dè chronon, mot à mot « pour le temps effectivement restant ». (<==)

(26) Après avoir vu comment devaient se comporter les gardiens dans leur rôle de soldats en campagne lorsqu'il s'agit de défendre la cité contre des ennemis extérieurs, et quels honneurs rendre aux héros morts à la guerre, Socrate passe maintenant à la question du comportement envers les autres cités, qui va lui permettre, comme je l'ai déjà dit dans la note 3 en introduction à la traduction de cette section, de traiter de la question des alliances : la cité ne peut considérer toutes les autres cités comme des ennemis de même nature et doit donc tenir compte des « parentés » pour se ménager des alliances en cas de besoin. Et dans le contexte qui était celui de Platon, cette notion de « parenté » était facile à mettre en évidence à travers la langue : toutes les cités qui parlent grec sont d'une certaine manière apparentées, et plus aptes à se comprendre, au sens propre au moins, qu'à comprendre les barbaroi, dont le nom veut pratiquement dire par onomatopée interposée « ceux dont on ne comprend pas la langue ». (<==)

(27) Même quelqu'un qui les combat peut être amené, à l'occasion, pour mieux se faire comprendre de ses interlocuteurs, à s'appuyer sur les stéréotypes de la société dans laquelle il vit. Socrate a défendu l'égalité entre hommes et femmes et mobilisé les femmes aussi bien que les hommes pour le groupe des gardiens, et pourtant, pour illustrer son propos devant un auditoire exclusivement masculin, et faire ressortir le caractère honteux d'une conduite qu'il désapprouve, il n'hésite pas à la qualifier de gunaikeia (« digne d'une femme »). (<==)

(28) « Venant de [gens qui nous sont] proches » traduit le grec apo tôn oikeiôn, dans lequel on retrouve l'adjectif oikeios, qui était déjà au cœur des considérations sur les bienfaits de la mise en commun des femmes et des enfants dans le couple oikeion (« proche, familier ») / allotrion (« autre, étranger »), lorsqu'il était question de faire en sorte que tous les membres de la communauté aient la même notion de ce qui leur était oikeion et de ce qui leur était allotrion (cf. 463b, sq. et note 18). Ici, il s'agit d'élargir cette notion aux relations entre cités. (<==)

(29) « Guerre » traduit le grec polemos (qu'on retrouve à la racine du mot français « polémique ») et « querelle » traduit le grec stasis, mot dont il a déjà été question dans les sections précédentes, dans les notes sur le mot astasiastos utilisé en 459e3 (note 25 sur la section « Comment la mise en commun sera organisée ») et en 464e1 (note 29 sur la section « Bienfaits de la mise en commun pour la cité »), et qui est apparu en 465a3. J'ai déjà indiqué dans la note 3 ci-dessus l'importance que revêt pour le Socrate de Platon cette distinction entre polemos et stasis, sur laquelle il va maintenant insister. (<==)

(30) Le terme général sous lequel Socrate regroupe les deux concepts de polemos et de stasis est celui de diaphora, dont le sens premier est « différence », mais qui peut aussi signifier « différend, désaccord », différends dont la querelle et la guerre peuvent en effet être des manifestations collectives extrêmes. (<==)

(31) Les qualificatifs utilisés par Socrate ici sont successivement :
oikeion, terme dérivé de oikos (« maison, demeure »), qui renvoie donc à l'idée de personnes vivant sous le même toit ;
suggenes, qui renvoie à l'idée de parenté, de communauté d'origine ;
allotrion, dérivé de la racine allos, « autre », qui renvoie donc à la notion d'altérité, d'extériorité ;
othneion, dont le sens originel semble être, selon Chantraine (Dictionnaire étymologique de la langue grecque), « qui appartient à l'ethnos, mais pas au genos », c'est-à-dire « membre du même groupe/peuple/nation (ethnos), mais pas de la même famille (genos) », et donc « étranger à la famille », et par extension, « étranger » tout court.
L'opposition entre oikeion et allotrion a déjà été utilisée par Socrate dans la section précédente (cf. 463b12 et note ad loc.) pour suggérer qu'elle se rencontre dans les cités existantes même entre concitoyens, alors que justement la communauté proposé pour les gardiens de la cité idéale la fera disparaître dans leur cas. Quant à l'opposition entre suggenes et othneion, elle conforte les explications de Chantraine sur le fait d'être ou de na pas être du même genos. Reste que, s'il est facile de trouver deux termes distincts en français pour traduire oikeios (« familier ») et suggenes (« apparenté »), il est plus difficile, une fois qu'on a réservé « étranger » pour traduire othneion, de trouver, pour traduire allotrios, que j'avais justement traduit par « étranger » en 463b12, un terme distinct, qui de plus renvoie à la fois à l'idée d'altérité et à l'opposition avec oikeios/familier. (<==)

(32) Ici, le terme générique qu'emploie Socrate pour désigner ce qui peut être selon le cas stasis ou polemos est echthra, qui signifie « haine, inimitié, hostilité ». La diaphora, simple différend/différence, dont il était question précédemment, qui n'était qu'une appréciation objective d'une situation donnée de désaccord, fait ici place aux sentiments qu'elle suscite, l'inimitié, la haine, qui explique les comportements agressifs qui en résultent. (<==)

(33) Le terme grec que je traduis ici par « peuple » est genos, terme de sens très général à partir d'une étymologie qui renvoie à la naissance par la racine gen- commune avec gignesthai (« naître », mais aussi « devenir »), qui peut aussi bien signifier « race, famille » ou encore « descendance » que « groupe, espèce, genre » ou « peuple, tribu », etc. La traduction par « peuple » que je retiens ici me paraît plus neutre que « race » dans une discussion où il ne semble justement pas aller de soi que tous ses membres soient suggenes (« apparentés », « d'une commune origine »), puisque c'est un des points sur lesquels insiste Socrate. En outre, le terme est complété successivement par les adjectifs Hellenikon (to Hellenikon genos) et barbarikôi (tôi barbarikôi, sous-entendu par l'analogie de construction genei) et, s'il nous paraîtrait à la rigueur acceptable de parler de « race grecque » en laissant de côté ce que nous apprennent les historiens modernes sur les différentes peuplades qui ont successivement occupé telle ou telle partie de la Grèce, il est difficile d'accepter l'idée d'une « race » (au singulier) barbare regroupant tout ce qui n'est pas « Grec ». (<==)

(34) Le rôle du logos, du langage, est central dans l'approche que développe ici Socrate puisque, comme je l'ai fait remarquer au début de la note 3, la distinction entre « Grecs » (to Hellenikon genos, « le peuple grec ») et Barbares (to barbarikon genos), comme le montre l'étymologie du terme barbaros (celui dont on ne comprend pas la langue et dont les paroles sonnent donc aux oreilles d'un grec comme une suite de « bahr... bahr... » incompréhensibles), repose exclusivement sur une problématique de langage : on est grec si l'on parle grec et barbare dans le cas contraire, et peu importe que les Égyptiens ne parlent pas le même langage que les Perses ou les Thraces, puisque, dès lors qu'ils ne parlent pas grec, on ne les comprend pas, ce qui en fait des « barbares ». C'est donc, au-delà des divisions entre cités alliées ou rivales, mais disposant chacune d'un système politique et de dirigeants propres, et d'origines ethniques potentiellement différentes, le fait de parler la même langue qui incitait ces différents groupes politiques à se considérer comme faisant partie d'un ensemble plus large ayant en commun une même langue (une raison de plus pour ne pas traduire genos par « race », cf. note précédente). Et c'est cette communauté de langue qui leur faisait supposer une origine commune, traduite dans leurs traditions par des généalogies reliant entre eux des ancêtres légendaires éponymes des groupes ethniques des uns et des autres, pour remonter jusqu'à un certain Hellèn, ancêtre éponyme de tous les « Grecs » (en grec hoi Hellènes), fils de Deucalion, et père de Doros (ancêtre éponyme des Doriens), d'Éole (ancêtre éponyme des Éoliens) et de Xouthos, lui-même père d'Achaeos (ancêtre éponyme des Achéens) et Ion (ancêtre éponyme des Ioniens, le groupe auquel se rattachent les Athéniens). Certes, les prisonniers de guerre « barbares » réduits en esclavage qui finissaient par parler grec, pas plus que leurs enfants nés en captivité qui avaient peut-être parlé le grec dès leur plus jeune âge, ne devenaient « grecs » par le simple fait qu'ils parlaient grec, mais il n'en reste pas moins que le fait premier qui déterminait si une cité était grecque ou « barbare » était bien le fait que ceux de ses habitants qui se targuaient de descendre des fondateurs ou des premiers habitants de la cité parlaient grec depuis l'« origine » qui leur restait accessible. Et cela valait non seulement pour les cités de la Grèce proprement dite (au sens géographique), mais aussi pour les multiples colonies établies par ces cités en dehors de la Grèce, donc dans des terres peuplées de « barbares », dans le bassin méditerranéen et sur les rivages de la mer Noire.
C'est peut-être cette importance du langage dans la mise en évidence des « parentés » qui explique la multiplication des formules construites autour du verbe legein (boulei soi legô, « veux-tu que je te dise », 470b1-2 ; legô de ta duo..., « je veux parler de ces deux choses... », 470b6 ; ouden apo tropou legeis, « tu ne dis rien [qui soit] contraire à l'usage », 470b10 ; hora... ei... pros tropou legô, « vois... si... je parle conformément à l'usage », 470c1) et verbes de sens voisin (phèmi gar..., « je dis en effet... », 470c1) et les références aux « mots/noms » (onomata) et aux verbes signifiant « appeler » au sens de « donner un nom » (onomazetai duo tauta onomata, « on emploie ces deux noms », 470b4 ; stasis/polemos keklètai, « c'est appelé querelle/guerre », 470b8-9) dans cet échange, aussi bien dans les propos de Socrate que dans les réponses de Glaucon : au moment où l'on reconnaît le rôle premier du langage dans la mise en évidence des « parentés » entre cités, on s'attache à vérifier qu'on parle bien le même langage, que ce qu'on dit est « conforme à l'usage », à l'usage des grecs, puisque l'on parle grec et qu'on cherche à s'accorder sur le sens de mots grecs. (<==)

(35) Socrate utilise ici successivement trois termes de même racine, le verbe polemein, que je traduis par « guerroyer », puis l'adjectif polemios, que je traduis par « ennemi », enfin le nom polemos, que je continue à traduire par « guerre ». Il n'est pas possible de rendre en français ces trois termes par trois mots de la même famille, aucun mot de la famille de « guerre » ne convenant pour traduire l'adjectif polemios, utilisé ici dans un sens qui en fait le contraire de philos (« ami »), le mot qui prendra sa place lorsqu'il va être question des relations entre Grecs, c'est-à-dire pour désigner un type de relation qui n'implique pas l'état de guerre permanente, mais seulement, appliqué aux relations entre deux peuples comme c'est le cas ici, une défiance généralisée systématique et héréditaire qui peut à tout moment dégénérer en guerre ouverte.
Dans la continuité de ce qui a été dit à la note précédente sur l'importance du langage dans la notion de « barbares », on n'est pas obligé de voir dans cette idée exprimée ici par le Socrate de Platon que les grecs sont « par nature » (phusei) ennemis des barbares, c'est-à-dire de tous les non-grecs, une conviction strictement politique, mais plutôt l'application à sa situation de Grec d'un fait d'expérience très général qui est que l'on ne peut être amis (philoi) quand on ne se comprend pas. Les conflits individuels ou collectifs entre êtres humains caractérisés par le fait qu'ils sont doués de logos (« parole, raison ») devraient en priorité se régler par l'appel au logos, à la discussion, à la raison. Mais ceci n'est possible que si l'on se comprend à l'aide d'un langage commun. Si le fait de parler la même langue n'est pas une garantie qu'on se comprenne, il est certain que lorsque même ce minimum n'est plus possible, ou, dans le cas des cités/nations, n'est possible qu'entre un nombre limité de personnes comprenant la langue des autres, mais dont le peuple dans son ensemble, qui ne la comprend pas, est en droit de se méfier, il ne reste plus, pour régler les conflits, que l'appel à la force et le recours à la guerre. En ce sens, deux peuples qui parlent des langues différentes sont bien phusei dans une situation l'un par rapport à l'autre d'avoir en permanence le risque de devoir recourir à la guerre pour régler leurs désaccords, si l'on comprend phusei, non pas dans le sens d'un « par nature » qui renverrait à la génétique et aux chromosomes, comme si l'inimitié envers les autres peuples coulait dans notre sang ou couvait dans nos « tripes », mais dans le sens plus large qui découle du sens du verbe phuein dont dérive phusis (« croître, pousser »), et qui implique non seulement l'inné donné à la naissance, mais tout le résultat du processus de développement que constitue l'éducation, et donc, dans le cas qui nous occupe ici, l'acquisition du langage qui est celui de nos parents (sur la question des sens de phusis, voir ma traduction de la section correspondant à la « première vague », qui est justement centrée sur cette notion de phusis, et les notes qui l'accompagnent, en particulier la fin de la note 36). On est phusei dans l'impossibilité de devenir philoi (« amis ») et donc, non pas à proprement parler « ennemis », mais plutôt « combatifs », « agressifs », « belliqueux » (autres traductions possibles de polemios, dont l'équivalent latin est bellicosus, dont dérive le français « belliqueux ») dans nos rapports l'un avec l'autre, tout simplement parce que nos phuseis (« développements ») respectives nous ont conduit à parler des langues différentes, et donc à être dans l'incapacité de nous comprendre et de pouvoir nous expliquer. Et a contrario, on est amis au moins potentiels dès lors que, ayant appris la même langue maternelle, on est en situation de pouvoir régler nos désaccords par le recours au logos, ce qui nous évite, ou au moins devrait nous éviter, d'avoir recours à la force. (<==)

(36) « Se conformer à cet usage » traduit le grec nomizein houtô, expression où apparaît le verbe nomizein, construit sur la racine nomos (« usage, loi »), dont le sens premier est « avoir en usage », « avoir l'habitude de », et par extension « penser, juger, estimer ». (<==)

(37) Pour se faire mieux comprendre, Socrate revient ici à la compréhension plus étroite de stasis qui avait cours de son temps et qui réservait ce terme aux querelles internes à une cité, aux factions et à ce que nous appellerions aujourd'hui des « guerres civiles » opposant une partie des citoyens à une autre, comme par exemple celle qui, à Athènes, opposa, après la fin de la guerre du Péloponnèse et l'installation par Sparte du régime des Trente à Athènes, les aristocrates devenus tyrans (dont Critias, cousin de la mère de Platon, qui en fut l'un des meneurs) aux démocrates, qui eurent finalement le dessus. Il est en effet plus facile de comprendre ce qu'a de criminel de la part d'un groupe de citoyens de détruire tout ou partie de sa propre cité et de réaliser que ces guerres intestines ne peuvent durer éternellement que de l'admettre lorsque c'est une cité grecque qui s'en prend à une autre cité grecque, comme par exemple Athènes à Sparte. Aucune traduction de stasis ne permettrait de rendre convenablement le texte de Platon, car le problème n'est pas un problème de mots, mais un problème de ce qu'on pourrait appeler « contexte politique » : c'est la manière dont les Grecs d'alors se comprenaient et comprenaient les relations entre les différentes cités qui constituaient la Grèce (au sens strict et au sens large incluant les colonies lointaines), qui est ici en cause et comme elle n'est plus la nôtre, notre vocabulaire ne peut pas s'adapter à cette réalité disparue. Même la problématique de construction de l'Europe qui est la nôtre, si, par certains côtés, elle peut rappeler certains aspects de l'historie grecque, en particulier quand on met en parallèle la situation de l'Europe par rapport aux États-Unis avec celle de la Grèce deux ou trois siècles après Platon par rapport à l'empire romain, se différencie de la problématique de la Grèce antique au moins sur un point dont j'ai dit dans les notes précédentes qu'il était central, celui de la langue : là où la Grèce antique trouvait son unité dans une langue commune, ce qui pose aujourd'hui l'un des plus gros problèmes à l'unification de l'Europe, c'est justement celui de la disparité des langues d'un pays à l'autre. (<==)

(38) « Aime sa cité » traduit le grec philopolides [einai], soit mot à mot « [sont] amis-de-la-cité », expression basée sur le terme philopolis (dont philopolides est le nominatif pluriel), construit sur le même modèle que de nombreux mots grecs commençant par le préfixe phil(o)-, dont philosophos. (<==)

(39) Je colle ici à l'image que suggère le texte de Platon, qui parle de la cité à l'aide des mots trophos (« nourrice ») et mètèr (« mère »), comme en français on parlerait de la « mère patrie » ou de la « terre nourricière », et qui utilise, pour imager les actions des factieux contre leur cité lorsqu'ils saccagent la terre et brûlent les maisons le verbe keirein, dont le sens propre est « tondre, raser », et par extension « piller, ravager, dévaster ». (<==)

(40) « Il est suffisant » traduit le grec metrion einai, dans lequel on trouve le mot metrion qui évoque l'idée de mesure, à la fois au sens propre (d'où le français « mètre ») et au sens figuré (avoir un attitude « mesurée »). On pourrait aussi traduire par « cela fait bonne mesure ». (<==)

(41) « Civilisé » traduit le grec hèmeros, ici utilisé au comparatif hèmerôterôn, dont le sens est « apprivoisé, domestique » lorsqu'il s'applique à un animal, « cultivée » (par opposition à « laissée en friches/à elle-même ») lorsqu'il qualifie une terre ou une plante et « civilisé » lorsqu'il concerne un homme ou une femme. Il s'oppose donc à « sauvage » et peut aussi signifier « doux » par opposition à « féroce », selon l'idée que, chez les animaux et les hommes, l'apprivoisement ou l'éducation brident la violence naturelle et la férocité qui en résulte. Dans tous les cas, il renvoie à l'idée d'un développement qui n'est pas laissé au hasard et aux forces brutes de la nature, mais est soumis à des règles et à des contraintes pour l'optimiser en vue d'une fin. (<==)

(42) « Amis des Grecs » traduit un autre de ces mots en phil(o)- dont il a été question dans la note 38, ici philellènes. Le mot a été transposé en français en « philhellène » dans un contexte politique récent (celui de la quête de l'indépendance de la Grèce par rapport à la Turquie) qui n'est plus celui du temps de Platon, si bien que le traduire par cette transposition moderne pourrait prêter à confusion, surtout si, comme je l'ai suggéré dans des notes précédentes, Platon n'avait pas en vue ici simplement la réalité politique conjoncturelle de son temps mais cherchait à en mettre à jour les ressorts profonds liés à la communauté ou à la différence de langue, si bien que pour lui, « ami des Grecs » signifie « ami de toutes les cités dont la langue natale est le grec ». (<==)

(43) « [Faisant partie] de leur famille » traduit le grec oikeian (au féminin pour s'accorder avec tèn Hèllada), adjectif que l'on a déjà rencontré dans le cadre de la distinction entre polemos (« guerre ») et stasis (« querelle »), et que j'avais traduit alors par « familier » (voir note 31). Oikeios n'est pas oikos, la « maison » ou la « maisonnée », c'est-à-dire la « famille », que l'on pourrait alors traduire, par extension, par la « patrie », mais l'adjectif qui en dérive, qui signifie donc « qui a rapport avec l'oikos ». Du fait de cette origine et de la multiplicité des sens d'oikos, le terme peut aussi bien qualifier ici la Grèce en tant que réalité géographique, dont on dit alors qu'elle « fait partie de leur demeure/de leur patrie », qu'en tant que réalité humaine, que groupe d'individus, dont on dit alors qu'ils font tous « partie de la maisonnée/ de la famille ». (<==)

(44) En fait, le grec ta hiera, utilisé ici au génitif pluriel hierôn sans article, a un sens plus large que simplement « sanctuaires » et peut renvoyer à tout ce qui a un caractère « saint », « sacré », sens premier de l'adjectif hieros. L'expression désigne ici en quelque sorte ce qui correspondait à l'époque au concept de « religion », mais qui était envisagé non pas tant comme un corps de doctrines, mais bien plutôt, de manière très concrète, comme un ensemble de pratiques organisées autour de lieux sacrés (comme par exemple le temple de Delphes où officiait la Pythie, ou le temple d'Apollon à Délos, qui servit un temps de « siège social » à l'alliance contractée sous l'égide d'Athènes entre un certain nombre de cités grecques et appelée pour cette raison « ligue de Délos »), de fêtes communes (comme les jeux Olympiques), etc. (<==)

(45) Socrate revient ici au terme diaphora, déjà utilisé en 370b6 (cf. note 30). (<==)

(46) Je traduis par « ils auront ce différend » le grec dioisontai, futur indicatif moyen du verbe diapherein, dont dérive le nom diaphora utilisé juste avant, pour rendre sensible cette communauté de racine en français. L'un des sens originels de diapherein, découlant de l'un des sens possibles du préfixe dia- en composition, qui indique la séparation, est « se porter de côté et d'autre », c'est-à-dire « se séparer, diverger », et de là « différer », en particulier au moyen. (<==)

(47) « Modérateurs » traduit le grec sôphronistai, pluriel de sôphonistès, nom d'agent dérivé du verbe sôphronizein, qui est employé juste avant et que j'ai traduit par « ramener à la raison » plutôt que par « modérer » (qui aurait conservé en français la communauté d'origine des deux mots), pour rendre sensible la racine sôphrôn commune à ces deux termes, qui renvoie à l'idée de « sain (saos/sôs) d'esprit (phrèn) », c'est-à-dire de « sensé, prudent, sage, raisonnable », ou encore « modéré, tempérant », racine qu'on retrouve dans le mot sôphrosunè, qui désigne la qualité qui doit être commune aux trois catégories de citoyens (cf. République, IV, 430e-432b) et qui, dans l'âme individuelle, assure l'harmonie entre ses différentes parties (cf. République, IV, 432c10-d3). (<==)

(48) Ici comme un peu plus loin dans cette même réplique de Socrate, je conserve la traduction du verbe keirein par « tondre » que j'avais utilisée lors de sa première occurrence en 471b1 pour des raisons expliquées en note 39, mais je mets le verbe entre guillemets pour souligner le fait qu'il est utilisé ici au sens analogique, et non plus au sens propre dans une image, comme signifiant « raser » (mais « raser » ne convenait pas en 471b1 où le verbe s'appliquait à la patrie assimilée à une mère, c'est-à-dire à une femme), « ravager, dévaster ». (<==)

(49) L'expression dikèn didonai, utilisée ici à l'aoriste dounai dikèn, signifie mot à mot « donner justice » dans le sens de donner satisfaction à la justice en subissant sa juste peine, donc « être châtié, subir son châtiment, sa peine ». La réplique se termine donc, en grec comme dans ma traduction, sur le mot dikèn (« justice »), qui désigner l'idéal de la cité bien gérée comme de l'homme de bien. On notera que Socrate est ici cohérent avec ce qu'il a dit auparavant de la justice, qui est accord entre les différentes composantes de la cité (ou de l'individu). Le recours aux armes entres cités faites pour être amies car partageant la même langue et donc capables de se comprendre n'a pour seul objectif que de ramener à la raison, et donc à la justice, la ou les cités sorties du droit chemin, et si la justice est un accord intérieur, elle ne peut être rétablie par la force de l'extérieur. Elle ne peut venir que de la prise de conscience de la part de la cité fautive elle-même de ses erreurs et par l'élimination de la cause de ces erreurs en elle. De même, en transposant aux « petits caractères » de l'âme individuelle, on ne rendra jamais raisonnable et tempérante une personne en l'enfermant pour l'éloigner des tentations (tout au plus l'empêchera-t-on ainsi de céder à ses passions tant que durera l'enfermement), mais seulement en l'amenant à prendre elle-même conscience du mal que lui fait son comportement incontrôlé. (<==)


Platon et ses dialogues : Page d'accueil - Biographie - Œuvres et liens vers elles - Histoire de l'interprétation - Nouvelles hypothèses - Plan d'ensemble des dialogues. Outils : Index des personnes et des lieux - Chronologie détaillée et synoptique - Cartes du monde grec ancien. Informations sur le site : À propos de l'auteur
Tétralogies : Page d'accueil de la République - Page d'accueil de la 4ème tétralogie - Texte du dialogue en grec ou en anglais à Perseus

Première publication le 16 octobre 2010 ; dernière mise à jour le 22 octobre 2010
© 2010 Bernard SUZANNE (cliquez sur le nom pour envoyer vos commentaires par courrier électronique)
Toute citation de ces pages doit inclure le nom de l'auteur et l'origine de la citation (y compris la date de dernière mise à jour). Toute copie de ces pages doit conserver le texte intact et laisser visible en totalité ce copyright.